Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 183

LE GENRE COMME VECTEUR DE TRANSFORMATION DU DROIT
des citoyens et des citoyennes en fonction de leur appartenance à des groupes.
Cette crainte repose sur deux postulats : d'une part, afin de ne pas conforter et
légitimer les discriminations, il ne faut pas les reconnaître juridiquement ; d'autre
part, faire de la différence sexuée une différence différente des autres serait en
faire un privilège. Dans cette perspective, transposer dans la loi l'idée de parité,
à travers des quotas de candidats et de candidates de chaque sexe 49, c'est prendre
le risque que d'autres catégories, définies selon leur origine nationale, leur
religion, ou leurs affinités sexuelles revendiquent les mêmes droits. Danièle
Sallenave, écrivaine et enseignante, affirme ainsi qu'« il n'est de bonne loi que
généralisable. Peut-on imaginer de l'étendre à tous les cas de disparité des
femmes ? À l'université, dans les laboratoires de recherche, les grandes
entreprises, la rédaction des journaux ? Mais quelle femme voudrait être nommée
à ce prix ? Même strictement limitée à la représentation politique, une telle
mesure fera jurisprudence. Elle fera forcément l'objet d'une interprétation
extensive, voire abusive, de la part de tous ceux qui, à tort ou à raison, tenteront
de comparer leur situation à celle des femmes : Black ou Beurs, homosexuels ou
islamistes, adventistes du septième jour. Plus encore : la présence d'une telle
disposition et les possibilités qu'elle ouvre poussent à la constitution de
" communautés " , parce qu'elle ouvre une voie plus sûre et plus rapide que la lutte
singulière d'un individu pour la reconnaissance et l'exercice de ses droits » 50.
Les partisans et les partisanes des lois dites sur la parité proposent une autre
lecture du principe d'égalité et montrent, en retournant chacun de ces arguments,
comment la parité est une application des principes républicains fondamentaux.
La différence femmes-hommes est alors considérée comme une différence
différente des autres, avec comme argument principal qu'elle résulte de la
division première et universelle du monde en deux parties équivalentes, et que sa
pérennité ne peut être mise en cause. Dans cette perspective, les femmes, au
même titre que les hommes, sont une catégorie universelle. Ainsi, la
revendication paritaire n'est pas une demande de traitement particulariste faisant
courir le risque de constitution d'une communauté de femmes ou de contagion
communautariste. Loin de constituer une négation des fondements de la
République, et en particulier de l'universalisme, les lois dites sur la parité sont
ainsi associées à la réalisation, dans les faits, du principe d'égalité 51.
Au niveau international, les arguments en faveur de l'adoption de quotas
sexués font cohabiter l'application du principe d'égalité avec celle du référentiel
de l'investissement social au nom de l'amélioration qualitative de la
représentation qui pourrait s'ensuivre 52. Quatre arguments sont en particulier
49. Drude DAHLERUP, « Gender Quotas - Controversial But Trendy. On Expanding the Research
Agenda », dans International Feminist Journal of Politics, 10, 3, 2008, p. 322-328.
50. Danièle SALLENAVE, « Le piège de la parité », dans Micheline AMAR (éd.), Le Piège de la
parité, op. cit., p. 24.
51. Laure BERENI et Éléonore LÉPINARD, « Les stratégies de légitimation de la parité en France »,
Revue française de science politique, 54, 1, 2004, p. 71-98.
52. Joni LOVENDUSKI et Pippa NORRIS, « Westminster Women: The Politics of Presence »,
Political Studies, 51, 2003, p. 87-89.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

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