Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 191

Chapitre 11
Les analogies du genre :
différance, intrasectionnalité et droit
Bruno PERREAU
MIT - School of Humanities, Arts and Social Sciences
En droit français, l'inégalité de traitement est un critère insuffisant pour
attester l'existence d'une discrimination. Cette dernière ne peut être établie que
si ladite inégalité est jugée illégitime. C'est ainsi que le Conseil d'État place, au
sommet de la hiérarchie des normes administratives, le principe d'égalité devant
le service public, tout en précisant que des différences de traitement peuvent être
admises si c'est la loi qui les institue, s'il existe des différences de situation
appréciables ou si des motifs d'intérêt général s'imposent 1. Le Conseil
constitutionnel raisonne de la même façon en considérant que « si le principe
d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'une loi établisse des règles non identiques à
l'égard de personnes se trouvant dans des situations différentes, il n'en est ainsi
que lorsque cette non-identité est justifiée par la différence des situations et n'est
pas incompatible avec la finalité de cette loi » 2. De même, l'interdiction des
discriminations posée par l'article 14 de la Convention européenne des droits de
l'Homme n'exclut pas que des situations spécifiques appellent des traitements
différenciés 3. Cette distinction entre inégalité de traitement et discrimination fut
manifeste dans l'affaire, jugée par la Cour européenne des droits de l'Homme
(CEDH) en février 2002, Fretté contre France, après qu'un célibataire
homosexuel s'était vu opposer un refus d'agrément en vue d'adoption 4. Devant
la Cour, le représentant du gouvernement français soutint qu'il existait bel et bien
« une différence objective de situation entre le modèle familial que Monsieur
Fretté pouvait offrir à un enfant et celui d'un parent adoptif hétérosexuel,
célibataire ou marié » 5. La CEDH constata donc que la différence de traitement
était fondée sur l'orientation sexuelle du candidat et en conclut qu'elle était
discriminatoire au regard de la loi de 1966 qui ouvrait l'adoption aux célibataires
de plus de 28 ans, sans condition d'orientation sexuelle. Toutefois, par un jeu
complexe d'abstention 6, la Cour considéra aussi qu'il n'y avait pas
discrimination au regard du droit européen car, selon elle, le refus d'agrément ne
1. Conseil d'État (CE), 10 mai 1974, Denoyez et Chorques.
2. Conseil constitutionnel (CC), 17 janvier 1979, Conseil des prud'hommes.
3. Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et
Balkandali c. Royaume-Uni.
4. Refus confirmé en appel : CE, 9 octobre 1996, Département de Paris.
5. CEDH, 26 février 2002, Fretté c. France.
6. Cf. Bruno PERREAU, Penser l'adoption, PUF, Paris, 2012, p. 94-98.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

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