Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 195

LE GENRE COMME VECTEUR DE TRANSFORMATION DU DROIT
publiques ainsi que dans les programmes universitaires et scolaires. La
polémique autour de la supposée « théorie du genre » trouve ici son origine
politique. Le combat des anti-genre semble toutefois assez vain. Dès 1991, le
troisième programme d'action communautaire promeut le gender
mainstreaming 29. Le traité d'Amsterdam acte cet engagement en faisant de la
lutte pour l'égalité entre les sexes l'un des principes de l'Union européenne, sans
pour autant utiliser le terme de genre (article 2 du traité).
En France, la notion de genre n'intègre pas immédiatement le droit ; le terme
« approche intégrée de l'égalité » est préféré à celui de gender mainstreaming.
Des voix s'élèvent, comme celle d'Yvette Roudy, ancienne ministre des Droits
de la femme, pour affirmer que le genre implique des mesures d'action
affirmative contraires à la tradition française 30. Toutefois, la transversalité des
politiques de genre se manifeste par la création d'un poste de déléguée
interministérielle aux droits des femmes, poste qu'occupe la philosophe
Geneviève Fraisse en 1997. La révision constitutionnelle du 8 juillet 1999,
préalable au vote de la loi sur la parité, marque un tournant puisque la norme
suprême admet la nécessité de mesures spécifiques en faveur de l'égalité. La
parité ferme toutefois la porte à d'autres catégories sous-représentées en
s'opposant explicitement aux « quotas » 31. À l'origine, la parité était conçue
comme un moyen plus efficace et plus rapide pour lutter contre l'exclusion des
femmes en politique 32. Le débat public prit toutefois une autre tonalité 33 : en
choisissant de défendre la parité au nom de la plus ou moins égale division de
l'humanité entre femmes et hommes, le mouvement paritariste a construit le sexe
comme une donnée anthropologique plus fondamentale que les autres 34, écartant
ainsi d'autres facteurs de discrimination (comme l'âge, la couleur de peau, la
sexualité, etc.). Certaines autrices sont même allées jusqu'à s'opposer à la
reconnaissance de la filiation homosexuelle au nom de la parité, considérant que
la distinction des sexes était la condition de tout lien filial 35. À l'inverse, très peu
d'experts et d'expertes ont réfuté la spécificité du critère de sexe et ont soutenu,
sur cette base, l'égalité en droit pour toutes les minorités (ce fut le cas d'Eleni
29. Sonia MAZEY, « L'Union européenne et les droits des femmes : de l'européanisation des
agendas nationaux à la nationalisation d'un agenda européen ? », dans Richard BALME, Didier
CHABANET et Vincent WRIGHT (éd.), L'Action collective en Europe, Presses de Sciences Po,
Paris, 2002, p. 405-432.
30. Citée dans Réjane SÉNAC, « Le gender mainstreaming à l'épreuve de sa genèse et de sa
traduction dans l'action publique en France », op. cit., p. 19.
31. Éléonore LÉPINARD, L'Égalité introuvable : la parité, les féministes et la République, Presses
de Sciences Po, Paris, 2007, p. 129-132.
32. Anne LE GALL, Françoise GASPARD et Claude SERVAN-SCHREIBER, Au pouvoir citoyennes !
Liberté, égalité, parité, Seuil, Paris, 1992.
33. Voir Laure BERENI, La Bataille de la parité : mobilisations pour la féminisation du pouvoir,
Économica, Paris, 2015.
34. Éric FASSIN et Michel FÉHER, « Parité et PaCS : anatomie politique d'un rapport », dans Daniel
BORRILLO, Éric FASSIN et Marcela IACUB (éd.), Au-delà du PaCS : l'expertise familiale à
l'épreuve de l'homosexualité, PUF, Paris, 1999, p. 13-43.
35. Sylviane AGACINSKI, Politique des sexes, Seuil, Paris, 1998, p. 13.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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