Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 196

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
Varikas, d'Évelyne Pisier et d'Élisabeth Roudinesco 36). Les débats sur la parité
ont ainsi démontré qu'un dispositif antidiscriminatoire pouvait servir à justifier
d'autres formes d'exclusion au nom de visions normatives du monde social 37.
Dans les années qui ont suivi le vote de la loi, ont été adoptées plusieurs chartes
pour promouvoir l'égalité à l'école, dans la vie publique locale, dans la sphère
professionnelle et en matière de santé. Le genre est ainsi devenu un outil
fondamental en faveur de l'égalité entre les sexes mais souvent au prix de
l'essentialisation des catégories 38, notamment dans les sphères politique et
juridique 39.
La traduction de Trouble dans le genre en 2005 marque une nouvelle étape :
elle contribue à braquer les projecteurs sur des recherches et sur des
enseignements qui, en histoire, en anthropologie, en sociologie, en sciences de la
communication ou en science politique, questionnent la dichotomie sexuelle et
analysent le genre non plus seulement comme catégorie d'analyse et outil de
politique publique, mais comme composante des identités minoritaires et de leur
théorisation critique. À l'Université Paris Nanterre, où la tradition d'étude des
droits humains est déjà bien ancrée autour de figures tutélaires comme Danièle
Lochak et Daniel Borrillo, une nouvelle génération de juristes va faire du genre,
dans toutes ses acceptions, le point central de ses analyses. C'est ainsi qu'est créé
en 2011 le programme Recherche et études sur le genre et les inégalités dans les
normes en Europe (RÉGINE). Dirigé par Stéphanie Hennette-Vauchez, Diane
Roman et Marc Pichard, il rassemble une cinquantaine de juristes dont l'expertise
traverse toutes les branches du droit : constitutionnel, administratif, comparé,
civil, pénal, social, économique, etc. 40 C'est précisément cet attelage de la
théorisation critique et du droit que dénoncera, en France, la Manif pour tous et
ses allié·es. À leurs yeux, le genre est un cheval de Troie : il serait responsable
de l'introduction du mariage pour tous, de la procréation médicalement assistée
et de la gestation pour autrui ; il soumettrait la France à l'empire postmoderne
des campus américains 41. Cette crispation nationaliste est déclinée selon des
problématiques propres à chaque pays européen mais place toujours en son cœur
le terme même de genre, dont la plasticité suscite l'inquiétude 42.
36. Voir leurs contributions dans Micheline AMAR (éd.) Le Piège de la parité : arguments pour un
débat, Hachette, Paris, 1999.
37. Camille ROBCIS, La Loi de la parenté : la famille, les experts et la République, trad. Ninon
Vinsonneau, Fahrenheit, Paris, 2016 [2013], p. 30-31.
38. Pour une critique de l'essentialisation du genre, voir Terrell CARVER, Gender is not a Synonym
for Women, Rienner, Boulder, 1996.
39. Daniel BORRILLO, « Le sexe et le droit : de la logique binaire des genres et la matrice
hétérosexuelle de la loi », dans Jurisprudence, revue critique, 2, 2011, p. 263-285.
40. Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ, Marc PICHARD et Diane ROMAN (éd.), La Loi et le Genre :
études critiques de droit français, Éditions du CNRS, Paris, 2014.
41. Bruno PERREAU, Qui a peur de la théorie queer ?, op. cit., p. 84-89.
42. Roman KUHAR et David PATERNOTTE (éd.), Campagnes anti-genre en Europe : des
mobilisations contre l'égalité, trad. Agnès Chetaille et David Paternotte, PUL, Lyon, 2018
[2017].
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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