Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 208

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
femmes, même s'il refuse d'embaucher des femmes noires 121. Une recherche
collective sur l'effectivité des dispositifs antidiscriminatoires en droit du travail
aux États-Unis a également prouvé que les actions en justice conduites au nom
de plusieurs discriminations avaient statistiquement moins de chance d'aboutir
que les actions en justice conduites au nom d'une seule 122. D'autres juristes ont
démontré qu'il était plus efficace de lutter contre les discriminations au niveau
du groupe social qu'au niveau individuel 123. La Cour de justice de l'Union
européenne a elle-même reconnu qu'il était possible de traiter simultanément
plusieurs motifs de discriminations 124 mais elle a, dans une affaire plus récente,
précisé qu'une discrimination combinée ne pouvait être établie que si au moins
une discrimination individuelle l'était 125. Même si elles n'hésitent pas à étendre
certains motifs de discrimination, les juridictions françaises ne parviennent pas
non plus à prendre en considération la façon dont plusieurs discriminations se
coalisent et se renforcent. Elles continuent à traiter les discriminations complexes
comme une seule discrimination ou comme un simple cumul de
discriminations 126.
C'est cette déficience du droit qui avait conduit Kimberlé Crenshaw à
proposer, dans un article de 1991, le concept d'intersectionnalité 127. La juriste
états-unienne y démontre que les violences sexistes empruntent des modes
opératoires spécifiques selon que les femmes sont racisées ou non.
L'intersectionnalité ne se contente pas de considérer les discriminations de façon
combinée : elle met en lumière des dynamiques discriminatoires et, partant,
opère une critique du droit, trop « sectionnel » dans son appréhension des
différences de traitement 128. Elle remet également en question la façon dont les
mouvements sociaux tendent à s'organiser autour d'une cause principale et, en
121. Robin STRYKER, « Multiplication of Discrimination Criteria: a View from the United States »,
dans Multiplication des critères de discrimination : enjeux, effets et perspectives, Publications
du Défenseur des droits, Paris, 2018, p. 26.
122. Rachel K. BEST, Lauren B. EDELMAN, Linda H. KRIEGER et Scott R. ELIASON, « Multiple
Disadvantages: an Empirical Test of Intersectionality Theory in EEO Litigation », dans Law &
Society Review, 45, 4, 2011, p. 991-1025.
123. Nicholas PEDRIANA et Robin STRYKER, « From Legal Doctrine to Social Transformation?
Comparing US Voting Rights, Equal Employment Opportunity and Fair Housing Legislation »,
dans American Journal of Sociology, 123, 1, 2017, p. 86-135.
124. CJUE, 9 avril 2012, Galina Meister c. Speech design carrier systems.
125. CJUE, 24 novembre 2016, David L. Parris c. Trinity College Dublin, Higher Education
Authority et al.
126. Voir Cour d'appel de Versailles, 5 mars 2014, X c. Y.
127. Kimberlé CRENSHAW, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l'identité et
violences contre les femmes de couleur », trad. Oristelle Bonis, dans Cahiers du genre, 39, 2005
[1991], p. 51-82.
128. Les branches du droit qui se situent à l'articulation de plusieurs ordres juridiques promeuvent,
par définition, une approche moins sectionnelle des différences de traitement (Ivana ISAILOVIC,
« Political Recognition and Transnational Law: Gender Equality and Cultural Diversification
in French Courts », dans Horatia MUIR WATT et Diego P. FERNANDEZ ARROYO (éd.), Private
International Law and Global Governance, Oxford University Press, Oxford, 2014, p. 318342).
DROIT
ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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