Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 217

CONCLUSION
droit, à la fois facteur de légitimation des rapports de pouvoir existants et facteur
d'émancipation 6.
C'est dans cette perspective que C. MacKinnon va mettre au point une
stratégie juridique de luttes féministes dans les domaines de la pornographie et
de la prostitution (stratégie par ailleurs contestée à l'intérieur même du
mouvement féministe, qui, sur ces questions, est resté profondément divisé), en
collaboration avec Andrea Dworkin qui, elle, est toujours restée aux marges du
champ académique. Dans cette même période, K. Crenshaw entreprend sa
réflexion sur les limites des lois antidiscrimination qui, à l'époque, peinent à
prendre en compte les interactions complexes entre de multiples formes de
discrimination, notamment celles qui combinent le genre, la classe sociale et la
race. En 1989, elle forge ainsi la notion d'intersectionnalité (mobilisée et
repensée dans plusieurs des contributions à cet ouvrage), qui sera popularisée par
la sociologue Patricia Hill Collins pour mieux conceptualiser ces dynamiques
complexes. La même année, elle participe également à la formalisation officielle,
aux États-Unis, des Critical Race Studies (CRS) qui, dans la continuité des
théories politiques développées depuis au moins le milieu des années 1970,
appréhendent là encore le droit à la fois comme instrument d'oppression et
comme outil potentiel d'émancipation des Afro-Américain·es 7.
Le concept d'intersectionnalité est généralement présenté (et enseigné)
comme émanant d'une critique d'un « féminisme blanc » qui serait peu sensible
aux discriminations raciales. Cette généalogie n'est pas fausse, mais il est aussi
important de souligner que ces divers mouvements critiques sont, du moins
aujourd'hui, convergents dans le champ de la Feminist Legal Theory. En effet, il
est à présent difficile de trouver des féministes qui ne se réclament pas
explicitement d'une perspective intersectionnelle. De plus, les deux
protagonistes de ce récit d'opposition, K. Crenshaw et C. MacKinnon, viennent
de développer une collaboration importante pour réformer, aux États-Unis,
l'Equal Rights Amendment (2019).
Ces derniers exemples de stratégies féministes juridiques montrent que
l'expression même de Feminist Legal Theory est à vrai dire quelque peu
trompeuse. Ce label abrite bel et bien une production scientifiquement riche, sur
des concepts comme l'égalité des droits, l'égalité des chances, la justice sociale,
la sécurité individuelle, le consentement, l'autonomie personnelle, les violences
de genre ou les frontières de la sphère privée et de la sphère publique. Plus
récemment, adossée à la théorie du droit, la sociologie états-unienne s'est
également tournée vers l'injure à caractère sexuel pour tenter de penser le
6. Carol SMART, « Feminism and Law - Some Problems of Analysis and Strategy », dans
International Journal of the Sociology of Law, 14, 2, 1986, p. 109-123.
7. Kimberlé CRENSHAW, Neil GOTANDA, Gary PELLER et Kendall THOMAS (éd.), Critical Race
Theory: the Key Writings that Formed the Movement, The New Press, New York, 1996.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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