Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 22

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
« tropisme monodisciplinaire » 27 et considérer que le genre a une importante
portée interdisciplinaire : c'est un outil indispensable pour faire dialoguer les
disciplines entre elles, y compris les sciences sociales avec les sciences de la
nature, comme l'a montré de manière exemplaire l'Encyclopédie critique du
genre 28.
Au croisement des études de genre et de l'analyse politiste du droit, ce livre
nourrit ainsi l'ambition d'interroger ce que la prise en compte du genre implique
en termes d'inflexion et d'échange disciplinaires. Plus précisément, notre
ouvrage réunit des sociologues, des politistes et des juristes, parmi lesquel·les on
trouve des experts et des expertes en histoire du droit, en droit européen et en
droit international ; des sociologues de la famille et du travail ; des spécialistes
des organisations internationales ; des chercheurs et des chercheuses en théories
féministes, en théorie politique et en droit des sexualités. Il fait fond sur
l'évolution par laquelle on a pu constater, ces dernières années en France, que
certain·es juristes (avocat·es, magistrat·es ou universitaires), « revendiquant des
prises de position politiques et l'utilisation de leurs compétences professionnelles
pour la défense de causes », s'efforçaient d'inventer « une nouvelle manière de
faire du droit et d'appartenir au champ juridique, à distance de l'orthodoxie
juridique mais dans le respect d'un ensemble de règles minimales permettant de
continuer à se vivre comme juristes » 29.
Il reste à dire, avant d'évoquer plus en détail le contenu de cet ouvrage, que
les termes et les domaines que le livre met en rapport (genre, droit et politique)
sont si vastes qu'il importe de préciser comment ils sont ici utilisés (comme nous
avons déjà commencé à le faire avec la dernière de ces trois notions). Nous
analyserons le genre comme le produit des rapports de pouvoir qui structurent la
bicatégorisation traditionnelle et les hiérarchisations sociales entre le féminin et
le masculin, et le droit comme étant incarné dans des normes, dans des
institutions, dans des professionnel·les de la justice et dans des justiciables. Cela
étant dit, on peut aussi déployer une distinction entre le genre comme concept
d'analyse des rapports de genre et le gender au sens du verbe d'action (genrer,
c'est-à-dire « véhiculer, produire ou reproduire des rapports de genre » 30), ce qui
peut conduire à affirmer que le « genre genre » (le genre produit des rapports de
genre). En ce sens, si on le comprend comme un concept polyphonique et
résolument non figé, le genre est susceptible de faire exploser la notion d'identité,
qui est au cœur de l'agenda politique hexagonal depuis une grosse dizaine
d'années. Plusieurs chapitres réunis dans le volume mettent ainsi en évidence la
déstabilisation de la binarité et des catégories sexuelles ordinaires par les
militant·es et par le droit.
27. Johann HEILBRON, Naissance de la sociologie, trad. Paul Dirkx, Agone, Marseille, 2006, p. 377.
28. Juliette RENNES (éd.), Encyclopédie critique du genre : corps, sexualité, rapports sociaux, La
Découverte, Paris, 2016.
29. Laurent WILLEMEZ, « Un champ mis à l'épreuve : structure et propriétés du champ juridique
dans la France contemporaine », dans Droit et société, 89, 2015, p. 148.
30. Arthur VUATTOUX, « Gender and Judging, ou le droit à l'épreuve des études de genre », dans
Tracés, 27, 2014, URL : .
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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