Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 220

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
genrée, le républicanisme hexagonal est, encore plus que genderblind,
« genderborgne » : il ne voit que d'un œil, le masculin. De surcroît, la
normativité hétérosexuelle est consubstantielle à ce républicanisme, ce qui
explique pourquoi les références à ce dernier n'invoquent pas tant « une réalité
historique ou théorique qu'un fantasme d'unité perdue, de cohésion sociale, et
un modèle de vivre ensemble menacé par la différence » 16. C'est dire que, dans
la conjoncture actuelle, le républicanisme français tend à perdre son pouvoir
universalisant et à fonctionner « comme un outil de gouvernementalité conçu
pour circonscrire et défendre les limites raciales et sexuelles de la nation » 17. Au
vu de ce contexte spécifique, les différents travaux français qui ont été menés sur
la justice familiale, par exemple, ont permis de rendre compte des limites du
principe d'égalité et de l'écriture du droit dans un langage universaliste, cette
égalité de principe pouvant fonctionner, dans le cas des divorces et, plus
globalement, des rapports entre conjoint·es, « comme une limite à la
reconnaissance des inégalités de fait, et a fortiori comme un frein à leur remise
en cause » 18. Une enquête récente va encore plus loin et montre de manière
particulièrement percutante qu'il existe des pratiques conscientes et assumées
(notamment de la part des notaires) pour écarter, lors des successions et des
séparations, les femmes de la distribution du capital des familles 19.
public/privé 20
In fine, en retravaillant la compréhension usuelle de la distinction
et en poussant à leur maximum les implications du slogan
féministe « Le personnel est politique », les figures tutélaires de la Feminist
France métropolitaine et coloniale, La Découverte, Paris, 2012 ; Silyane LARCHER, L'Autre
Citoyen : l'idéal républicain et les Antilles après l'esclavage, Armand Colin, Paris, 2014 ;
Myriam PARIS, « Nous qui versons la vie goutte à goutte » : féminismes, économie reproductive
et pouvoir colonial à La Réunion, Dalloz, Paris, 2020.
16. Camille ROBCIS, La Loi de la parenté : la famille, les experts et la République, trad. Ninon
Vinsonneau, Fahrenheit Books, Paris, 2016, p. 19.
17. Ibid. Voir aussi Élisabeth MARTEU et Amélie LE RENARD, « Genre et nation : approches
sociologiques », dans Sociétés contemporaines, 94, 2014, p. 5-18.
18. COLLECTIF ONZE, Au tribunal des couples : enquête sur des affaires familiales, Odile Jacob,
Paris, 2013, p. 254. Cf. aussi, sur la même thématique, Émilie BILAND, Aurélie FILLODCHABAUD
et Gabrielle SCHÜTZ, « Justice familiale et inégalités sociales », dans Droit et société,
95, 2017, p. 7-102, ainsi que Émilie BILAND et Gabrielle SCHÜTZ, « Tels pères, telles mères ?
La production des déviances parentales par la justice familiale québécoise », dans Genèses, 97,
2014, p. 26-46.
19. Céline BESSIÈRE et Sibylle GOLLAC, Le Genre du capital : comment la famille reproduit les
inégalités, La Découverte, Paris, 2020, p. 150-162.
20. Susan MOLLER-OKIN, Justice, Gender and the Family, Basic Books, New York, 1989 ; Laure
BERENI et Anne REVILLARD, « La dichotomie public/privé à l'épreuve des critiques féministes :
de la théorie à l'action publique », dans Pierre MULLER et Réjane SÉNAC (éd.), Genre et action
publique : la frontière public-privé en questions, L'Harmattan, Paris, 2009, p. 27-55. La critique
féministe en question touche également aux découpages des politiques publiques (Gwenaëlle
PERRIER et Isabelle ENGELI, « Pourquoi les politiques publiques ont toutes quelque chose en
elles de très genré », dans Laurie BOUSSAGUET, Sophie JACQUOT et Pauline RAVINET (éd.),
Une « French touch » dans l'analyse des politiques publiques ?, Presses de Sciences Po, Paris,
2015, p. 349-376).
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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