Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 23

INTRODUCTION
Cet ouvrage collectif réunit des contributions émanant de spécialistes des
études de genre internationalement reconnus aussi bien que de jeunes chercheurs
et chercheuses qui, par leurs travaux récents, ont contribué à donner encore plus
de vitalité à l'approche genrée des normes et systèmes juridiques. L'ensemble
des contributeurs et contributrices ont pour volonté commune d'étudier le verrou
que peuvent représenter les règles juridiques, qui sont des règles structurantes,
dans le domaine de l'égalité femmes/hommes, mais pas seulement. Il s'agit en
effet, au-delà de l'angle des inégalités de genre, de mesurer le caractère
performatif des catégories juridiques en matière de rapports sociaux de sexe et
de documenter l'idée selon laquelle « le droit ne produit pas seulement de la
discrimination : il produit avant tout de la différenciation et, ce faisant, il produit
le genre » 31. Cela revient à dire que, pour « évaluer ce qui reste lettre morte du
droit » 32, il convient de ne pas faire qu'une sociologie des usages du droit, et
qu'il faut consentir à aller jusqu'à une sociologie du droit lui-même. À rebours
d'une conception objectiviste et naturalisante, le livre travaille donc à « déessentialiser
» la juridicité et, dans la lignée des travaux de Jacques Commaille
et de son modèle de légalité duale 33, axe sa démonstration autour d'une
représentation biface du droit, à la fois facteur de légitimation des rapports de
pouvoir existants et facteur d'émancipation.
Cette dimension biface du droit donne à l'ouvrage son économie générale
puisqu'elle est à l'origine de sa division en deux axes complémentaires. La
première partie du livre explore ainsi les liens entre genre, droit et politique de la
façon suivante : de quelle manière est-ce que le droit (lois, jurisprudence,
doctrine) produit du genre, c'est-à-dire produit des identités de genre, des
identités sexuelles (qui sont genrées) et des inégalités de genre ? Et de quelle
manière est-ce que le genre « produit le droit », c'est-à-dire oriente les pratiques
juridiques ? Ces questions sont particulièrement pertinentes pour comprendre les
implications sociales et politiques de l'événement juridique qu'a représenté
l'introduction du concept de « genre » dans le droit positif français - celui-ci ne
reconnaissait jusqu'alors que la notion de « sexe », comprise comme une simple
caractéristique biologique - à l'occasion du vote de la loi « Égalité et citoyenneté
» au printemps 2016. Au vu de la thématique de notre ouvrage, cet événement
représente naturellement un point de départ important pour plusieurs des analyses
présentées par nos auteurs et autrices. Dans le premier chapitre, intitulé
« L'invention trans de l'identité de genre dans le droit français », Alexandre
Jaunait retrace ainsi minutieusement les débats législatifs ayant entouré
l'adoption de ce texte au Parlement. Son analyse de ce processus politique
constate un paradoxe important : la notion d'« identité de genre », qui reconnaît
la dimension expérientielle de l'identité indépendamment du sexe biologique, est
arrivée dans le droit français au travers de politiques publiques qui concernaient
31. Coline CARDI et Anne-Marie DEVREUX, « Le genre et le droit : une coproduction », dans
Cahiers du genre, 57, 2014, p. 11.
32. Ibid.
33. Jacques COMMAILLE, À quoi nous sert le droit ?, Gallimard, Paris, 2015, p. 84.
23
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique.

Table des matières de la publication Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique.