Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 24

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
spécifiquement les personnes trans, mais sa juridicisation a des effets universels
sur toutes les personnes. Consacrant la reconnaissance d'une identité que le droit
considère comme préexistante, cet événement la produit et la transforme en
même temps, ce qui illustre parfaitement, comme le souligne A. Jaunait, la
dimension performative du droit. Cependant, dans d'autres cas, l'universalisation
des effets des dispositions juridiques qui avaient été mises en place afin de
protéger les personnes trans en particulier a été, au cours de processus politiques
allant dans le sens opposé, rejetée. C'est ce que met en évidence le deuxième
chapitre, intitulé « Une lecture féministe du droit : les débats sur l'inclusion du
féminicide dans le Code pénal français » et coécrit par Amélie Bescont et Taïana
Marcon. Les autrices constatent en effet que l'introduction de « l'identité
sexuelle de la victime », dans le Code pénal français (2012), comme circonstance
aggravante en matière d'homicide volontaire visait les crimes transphobes. Au
lieu de conduire à une extension de cette notion vers la violence contre les
femmes en général, le législateur a décidé, cinq ans plus tard, d'abroger cette
disposition afin d'éviter la création d'inégalités entre différentes catégories de
citoyens et de citoyennes. A. Bescont et T. Marcon se demandent dès lors
comment concilier les réalités sociologiques des crimes commis à l'égard des
femmes avec l'impératif d'égalité de traitement des sujets de droit, et
développent leur réflexion sur la base d'un constat d'échec : à travers leur
analyse des débats parlementaires autour de cette controverse législative, elles
identifient les arguments qui ont conduit au rejet de la reconnaissance, dans le
droit pénal français, du crime spécifique de féminicide.
En plus du contenu du droit, les inégalités de genre structurent également sa
mise en œuvre. C'est l'argument qu'avancent les autrices du chapitre 3, Marion
Flécher, Muriel Mille et Gabrielle Schütz. Issue des travaux du collectif JUSTINES
(Justice et inégalité au prisme des sciences sociales), leur contribution, intitulée
« Les avocat·es en droit de la famille : une division sexuée du travail du droit ? »,
décrit comment le fait, pour les avocats et les avocates spécialisées en droit de la
famille, d'être un homme ou une femme, influe sur leurs pratiques
professionnelles. Les autrices observent que le domaine du droit de la famille
bénéficie généralement d'un prestige relativement bas, ce qui explique pourquoi
les femmes y sont très présentes. Le fait que cette branche du droit soit féminisée
a des effets certains sur les pratiques réelles, notamment en matière de divorce.
D'autres contributions montrent que ce n'est pas seulement dans le domaine du
droit de la famille que le genre des professionnel·les a une influence sur la mise
en œuvre de la loi. Intitulé « L'invisibilisation des femmes dans les statistiques
de la délinquance : le cas des affaires de stupéfiants », le chapitre écrit par Kathia
Barbier montre en effet que c'est également le cas pour le droit pénal. Soulignant
la forte sur-représentation des hommes dans les condamnations pour trafic de
drogue, K. Barbier analyse les obstacles que constituent, pour penser la violence
des femmes, les stéréotypes bien intentionnés à leur égard. Ses données
d'entretien avec des policiers et des magistrat·es du parquet la conduisent à poser
que les fortes inégalités de genre dans les statistiques pénales s'expliquent avant
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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