Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 34

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
Faire du genre un concept de droit revient ainsi à intégrer dans la lettre de la
loi un vaste ensemble de réflexions et de transformations qui ont modifié, dans
les 50 dernières années, les cadres théoriques, les catégories pratiques et les
dispositifs législatifs qui avaient été jusqu'alors contenus dans la notion de sexe,
seule existante en droit. L'enjeu de 2016 est bien celui-ci. Par le biais de deux
dispositifs distincts, le législateur a, pour la première fois, fait du genre un
concept de droit positif, l'intégrant sous la forme spécifique de l'identité de
genre. Désignant une forme de sentiment sexué de soi, l'identité de genre marque
une transformation importante du registre identitaire contemporain, le triangulant
entre un sexe - considéré comme biologique -, une orientation sexuelle et,
désormais, une identité de genre. C'est donc bien une catégorie identitaire qui a
été juridicisée et ouvre ainsi potentiellement un nouveau pan de droit - le droit
de l'identité de genre - qui n'en est qu'à ses prémisses 8.
Si les relations entre sexe et genre représentent un terrain déjà ancien de
théorisation qui forme l'histoire même des études sur le genre, elles recouvrent
en revanche des enjeux inédits lorsque ces relations sont déplacées dans le droit,
formant ainsi des rapports entre des catégories juridiques nouvelles aux effets de
réalité tangibles. Le processus de la juridisation représente une intervention dans
la matière même du social : il saisit, reconnaît et consacre une identité en la
formalisant d'une part, et il transforme ce qu'il saisit en le mettant au cœur
d'interactions juridiques productrices de nouveaux droits et de nouvelles
stratégies sociales d'autre part. La reconnaissance d'une catégorie identitaire par
sa reformulation juridique forme ainsi le nœud de la performativité du droit,
invitant à analyser la genèse et les effets de cette juridicisation.
L'identité de genre est entrée dans le droit français par le biais de deux
dispositifs législatifs discutés dans l'année 2016 au Parlement. Plus précisément,
des dispositions relatives à l'identité de genre - la nommant pour la première fois
- ont été introduites dans deux blocs législatifs dont il est important de souligner
de nouveau qu'ils n'étaient nullement pensés comme des dispositifs de
reconnaissance. Plus encore, les dispositions adoptées dans les deux textes n'ont
pas été conçues comme se complétant, de sorte que la reconnaissance de
l'identité de genre qu'on constate prend son origine dans le fait du droit lui-même
davantage que dans l'intention du législateur.
Dans le cadre de la loi « Égalité et citoyenneté » discutée au printemps 2016,
le Parlement a modifié des dispositions pénales réprimant la diffamation et la
discrimination, ajoutant la catégorie d'identité de genre au registre du droit
antidiscriminatoire
9
. Cet ajout ne résulte cependant pas d'une initiative des
8. Le terme de « droit de l'identité de genre » reste un terme programmatique permettant
d'explorer les effets de la juridicisation de l'identité de genre. Il ne s'agit bien entendu pas d'une
branche du droit à proprement parler, mais plutôt d'un espace de normativité fragmenté qui se
déploie à différentes échelles juridiques depuis les années 2010. Sur ce point, voir Alexandre
JAUNAIT, « Genèses du droit de l'identité de genre. Approche des configurations
sociojuridiques », dans Droit et société, 105, 2020, p. 429-451.
9. Projet de loi n° 878 relatif à l'égalité et à la citoyenneté adopté le 22 décembre 2016. La loi est
promulguée en janvier suivant : loi 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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