Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 36

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
à les figurer dans le cadre des politiques et des stratégies de la transidentité.
Acculturé à ce concept, et mobilisé depuis plusieurs années sur les droits des
personnes trans, le Défenseur concevait sa proposition d'introduction d'un
nouveau critère comme une avancée du droit antidiscriminatoire, là où les
parlementaires, moins familiers de ces questions, et dans le cadre d'une
discussion qui n'était nullement centrée sur les personnes trans, étaient moins
conscients de ce qu'ils étaient en train de mettre en forme juridiquement : à la
fois une catégorie identitaire et le groupe social auquel elle est associée.
Le deuxième texte de loi relatif à l'identité de genre a été adopté en novembre
2016 et porte sur la modernisation de la justice du XXIe siècle 15 (loi J21). Tout
comme la loi « Égalité et citoyenneté », ce dispositif au spectre législatif large
n'est pas axé sur les questions de sexe, de genre ou de sexualité. Dans son
article 56, section II (« De la modification de la mention du sexe à l'état civil »)
le texte réforme la procédure dite de changement d'état civil (CEC) pour les
personnes souhaitant « changer de sexe » sur leurs papiers d'identité. Si l'on suit
la lettre des modifications législatives apportées, le terme d'identité de genre
n'apparaît pas, seul celui de sexe (à l'état civil) étant mobilisé 16. Pourtant, cet
article intervient à la suite de longs débats, de nombreuses revendications des
mouvements trans visant à la démédicalisation et la déjudiciarisation de la
procédure de CEC et de trois propositions de loi sur le sujet n'ayant jamais été
examinées au Parlement 17. Or ces textes et ces débats, qui forment la généalogie
de l'article 56 de la loi J21, dans l'exposé de leurs motifs ou dans les discussions
afférentes, mettent tous en leur centre, comme notion-pivot et motif de la
réforme, le concept d'identité de genre. La réforme vise en effet à « assouplir »
la procédure du changement de sexe à l'état civil en la démédicalisant, c'est-àdire
en permettant que des personnes trans puissent modifier leurs documents
d'identité sur la base de l'identité de genre dans laquelle ils se reconnaissent et
sont reconnus. Jusqu'alors, la modification de la mention du sexe à l'état civil
n'était pas tributaire d'une identité pensée dans le domaine de la subjectivité
individuelle, mais de la modification hormonale et chirurgicale du corps des
personnes, accordée à une vision médicale de ce que « changer de sexe » veut
dire. En démédicalisant la procédure de CEC, le nouveau dispositif met bien ainsi
en son centre la notion d'identité de genre et la reconnaît par là même, comme le
souligne avec précision un commentaire de doctrine : « Le sexe n'aurait donc
15. Loi 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21ème
siècle.
16. Étonnamment, le terme d'identité de genre apparaît à l'article 86 de la loi concernant des
dispositions générales en matière de discriminations. Le législateur, suivant la piste ouverte par
la loi « Égalité et citoyenneté », remplace les occurrences du terme d'identité sexuelle par celles
d'identité de genre. En revanche, la section concernant le CEC ne mentionne pas le nouveau
terme et conserve celui de « sexe à l'état civil ».
17. Proposition de loi n° 4127 visant à la simplification de la procédure de changement de la
mention du sexe à l'état civil, Assemblée nationale, groupe socialiste radical, citoyen et divers
gauche et apparentés, 22 décembre 2011 ; proposition de loi n° 216 visant à protéger l'identité
de genre, Sénat, groupe Europe écologie Les Verts, 11 décembre 2013 ; proposition de loi
n° 3084 relative à la modification de la mention du sexe à l'état civil, Assemblée nationale,
groupe socialiste, républicain et citoyen et apparentés, 29 septembre 2015.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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