Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 38

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
reformulant, reconnaissant et transformant dans les entrelacs de sa
performativité, ouvrant sur de nouveaux jeux et de nouvelles contraintes qu'on
peut analyser au niveau pratique des politiques de la transidentité comme au
niveau historique des structurations identitaires contemporaines.
II. L'identité de genre des politiques de la transidentité
La reconnaissance française de l'identité de genre, qu'il s'agisse de
l'introduction d'une nouvelle catégorie dans le droit de l'antidiscrimination (loi
« Égalité et citoyenneté ») ou de la réforme du changement d'état civil (loi J21),
ressortit des politiques publiques de la transidentité. En juridicisant l'identité de
genre, ce sont bien les personnes trans qui sont « visées », au sens de la création
d'une nouvelle catégorie de ressortissant·es de l'action publique. Cependant, ce
processus a des effets normatifs qui vont au-delà de la reconnaissance d'une
catégorie préexistante. En faisant de l'identité de genre le concept-pivot de la
reconnaissance des personnes trans, c'est la définition même de la transidentité
qui est modifiée. En effet, l'« assouplissement » des conditions du changement
d'état civil modifie le paradigme du changement de sexe prévalant jusqu'alors
dans le droit français. La juridicisation-reconnaissance est en ce sens une
modification de ce qui est reconnu, une véritable performance du droit participant
aux transformations de ce qu'il ne prétend qu'enregistrer.
Dans le cadre de la loi J21, la procédure par laquelle une personne peut
demander la modification de la mention de son sexe à l'état civil a été
« assouplie », au sens de conditions moins contraignantes facilitant largement
l'accès à de nouveaux documents d'identité. Depuis 1992, la modification de la
mention du sexe à l'état civil, opération contrôlée par le juge, était en quelque
sorte déléguée à l'autorité médicale sous la forme d'un avis de commissions de
spécialistes qui diagnostiquaient un « syndrome de transsexualisme » 23,
entraînant, à la suite de demandes de « patients », des traitements hormonauxchirurgicaux
(THC) considérés dans la jurisprudence comme une
« transformation irréversible » du sujet 24. Depuis une dizaine d'années, et en
particulier sous l'influence de la CEDH, une tendance à l'assouplissement de ces
conditions était observable, celles-ci étant trop souvent interprétées par les juges
faite » (Arlette FARGE, « Penser et définir l'événement en histoire : approche des situations et
des acteurs sociaux », dans Terrain, 38, 2002, p. 77).
23. Le terme de « transsexualisme » a été remplacé par celui de « trouble de l'identité
sexuelle » dans la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux
(dsm) publié par l'Association américaine de psychiatrie en 1995, puis par le terme de
« dysphorie de genre » dans sa cinquième version de 2013 (voir Arnaud Alessandrin, « Du
" transsexualisme " à la " dysphorie de genre» : ce que le dsm fait des variances de genre », dans
Socio-logos, 9, 2014, URL : .
24. La Cour de cassation considérait ainsi qu'un changement d'état civil n'était possible que
« lorsqu'à la suite d'un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une
personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son
sexe d'origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l'autre sexe auquel correspond
son comportement social » (Cour de cassation, assemblée plénière, 11 décembre 1992, n° 9111.900).
DROIT
ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
38
https://socio-logos.revues.org/2837
Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique.

Table des matières de la publication Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique.
