Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 56

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
sexiste d'un meurtre ou d'un homicide. Cependant, l'article 221-4 du Code pénal
prévoyait la réclusion criminelle à perpétuité pour les meurtres commis
« en raison de l'appartenance ou de la non appartenance vraie ou supposée, de la
victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » 38, ou
encore en « raison de l'orientation ou de l'identité sexuelle de la victime » 39. En
d'autres termes, étaient reconnues en droit pénal les spécificités des crimes
racistes, homophobes et transphobes, mais non celle des meurtres sexistes 40. Si
cela renvoie en grande partie aux divers agendas des acteurs publics des luttes
contre les discriminations, nous nous intéresserons ici aux arguments juridiques
qu'elles et ils mobilisèrent dans ce débat pour justifier ce différentiel de
traitement entre les discriminations. Le rapport Crozon et les débats sur la loi
« Égalité et Citoyenneté » remettent en effet en scène d'anciennes querelles
militantes : au cours des discussions furent notamment soulevées trois tensions
principales qui, au prétexte de mettre en avant des difficultés liées au droit positif
français, révèlent finalement la tendance des acteurs et actrices à mettre en
concurrence les causes féministes et antiracistes.
Cas n°1. Au cours de l'audition des représentants et de représentantes du
ministère de la Justice retranscrite dans le rapport Crozon, la présidente,
Catherine Coutelle, rappelle l'existence de circonstances aggravantes liées au
caractère raciste ou homophobe d'un crime, de manière à ouvrir le débat sur
l'ajout du sexisme à ces termes. Le chef du bureau de la législation pénale
générale, Francis Le Gunehec, soulève alors des difficultés relatives au régime
de la preuve. Selon lui, au contraire du caractère avéré des motivations racistes
de certains crimes, le caractère sexiste d'un homicide serait plus difficile à
saisir 41. Pour illustrer son propos, il mobilise un exemple récurrent dans notre
corpus :
« Prenons l'exemple du racisme : la circonstance aggravante est établie
notamment lorsque des propos racistes ont accompagné des violences ou un
meurtre. Si l'on suit la même logique, le meurtre commis par une femme qui tue
sa rivale en proférant des insultes sexistes devrait être qualifié de sexiste. Or cela
n'a pas de sens. Le parallèle entre sexisme et racisme n'est donc pas opérant ». 42
L'exemple de la rivale est étonnant : quelles difficultés juridiques
particulières le cas du meurtre sexiste commis par une femme poserait-il en
comparaison avec celui du meurtre raciste perpétré par une personne racisée ?
Au regard du droit pénal français, ces questions ne posent aucun problème
38. Loi du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste,
antisémite ou xénophobe, Journal officiel de la République française, 4 février 2003.
39. Loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, Journal officiel de la République française,
7 août 2012.
40. Assemblée nationale, rapport d'information sur les violences faites aux femmes, op. cit., p. 18.
41. Assemblée nationale, Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi « Égalité et
citoyenneté », compte rendu n° 17, séance de 15 heures, 16 juin 2016.
42. Assemblée nationale, rapport d'information sur les violences faites aux femmes, op. cit., p. 95.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
56

Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique.

Table des matières de la publication Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique.