Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 60

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
caractère sexiste d'actes criminels tels que ceux perpétrés par des tueurs en série
aussi « illustres » que Guy George ou encore Emile Louis ? Mobilisant l'exemple
des meurtres en série, J. Radford revient elle aussi sur l'idée selon laquelle les
féminicides européens se dérouleraient exclusivement dans l'espace domestique.
Contrairement aux affirmations de la majorité des acteurs et actrices ayant pris
part aux débats retranscris dans le rapport Crozon, le paradigme du « féminicide
intime » 54
serait en vérité insuffisant pour appréhender la globalité des
homicides sexistes commis sur le sol français. Seul le féminicide de masse
pourrait actuellement être considéré comme absent de notre espace national. Ses
modalités racistes, conjugales et homophobes/lesbicides s'étalent quant à elles
dans les colonnes des faits divers, au même titre que les féminicides en série 55.
L'argument visant à démontrer que le droit pénal existant serait suffisant pour
appréhender les cas de féminicide en ce qu'il reconnaît déjà la spécificité du
meurtre sur époux doit donc être remis en cause, et cela pour plusieurs raisons
d'ordre politique et juridique.
S'il est avéré que les femmes sont plus susceptibles d'être assassinées par
leur conjoint ou partenaire de vie que par un complet inconnu, la relégation pure
et simple des homicides sexistes à l'espace privé pose, en termes féministes, un
certain nombre de problèmes. Que ceci s'opère par le biais des couvertures
médiatiques de ces affaires, qui qualifient nombre de ces homicides de « crimes
passionnels » ou « drames familiaux », ou encore par le biais des plaidoyers de
la défense qui camouflent la responsabilité des auteurs en dépeignant le geste
homicide tel un accident de la vie conjugale, la violence de l'acte tout autant que
l'ampleur du phénomène se trouvent généralement euphémisées par leur renvoi
discursif à cette sphère. Les femmes victimes semblent être des victimes isolées,
des victimes du quotidien ou des trop fortes « passions conjugales ». Le
féminicide n'en devient alors rien d'autre qu'une « affaire privée » 56 regrettable,
mais tout juste pénalisable et difficilement politisée. Le renvoi à la sphère privée
du phénomène féminicide réduit ainsi sa réception au sein de la sphère publique
et complique plus largement sa reconnaissance sociale, politique et juridique.
Cela contrevient plus largement au projet féministe qui vise à repolitiser les
violences de genre dans toute leur diversité 57 et à pointer les logiques de pouvoir
qui traversent ces foyers et se répercutent dans la sphère publique. En termes
juridiques, la relégation des féminicides à l'espace domestique pose d'autant plus
question qu'elle se heurte, dans la pratique, à l'interprétation que le Conseil
Constitutionnel fait de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du
citoyen, qui consacre le droit au respect de la vie privée
58
. Quelle prise le
législateur peut-il alors avoir sur les violences de genre dès lors que celles-ci sont
54. Jill RADFORD et Diana RUSSELL, Femicide, op. cit., p. 94.
55. Ibid., p. 4.
56. Ibid.
57. Cet argument est développé plus en profondeur dans BESCONT et MARCON, 2019.
58. CC, 25 mars 2014, n° 2014-693, considérant 10.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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