Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 67

LE DROIT COMME VECTEUR DES INÉGALITES DE GENRE
Notre analyse s'appuie sur les résultats d'une enquête de terrain collective 12
menée initialement dans les chambres aux affaires familiales de plusieurs
tribunaux en France métropolitaine (tribunal de grande instance et cour
d'appel) 13, et qui s'est ensuite prolongée, entre 2013 et 2016, dans les cabinets
d'avocat·es de deux de ces juridictions. Le premier terrain se situe dans deux
villes de l'Ouest de la France (Besson 14, 150 000 habitant·es, et Salin, 25 000
habitant·es) sur un territoire rural, et le second à Paris et en région parisienne.
Nous nous appuyons ici sur 51 entretiens menés avec 38 avocates et 13 avocats
pratiquant le droit de la famille avec divers degrés de spécialisation. Nous
mobilisons également ponctuellement l'exploitation d'une base de données de
3000 dossiers judiciaires de première instance, tirés aléatoirement au cours de
l'année 2013 dans les chambres de la famille des tribunaux de grande instance
correspondant à la Cour d'appel de Paris et de Besson (« base Ruptures », saisie
par l'équipe de recherche du même nom).
I. Le droit de la famille, un droit de femmes ?
Le genre apparaît tout d'abord comme un facteur explicatif essentiel des
trajectoires socioprofessionnelles des avocats et des avocates, à l'image de son
rôle dans les carrières des juges 15. La pratique du droit de la famille réunit ainsi
des avocats et des avocates qui n'ont pas les mêmes parcours et ne travaillent pas
non plus dans les mêmes conditions.
1. Le droit de la famille : une matière dévalorisée
À l'instar de ce que l'on observe dans nombre d'activités professionnelles,
hommes et femmes avocates ne se spécialisent pas dans les mêmes domaines du
droit et n'en retirent pas les mêmes bénéfices. Le droit des affaires et le droit
international sont des spécialités plus rémunératrices et plus souvent investies
par les hommes, tandis que le droit de la famille, à l'instar du droit du travail et
de la protection sociale, est moins lucratif et plus féminisé 16. Notre base de
données (base Ruptures) en donne un aperçu : dans les divorces contentieux, à
12. Pour une description de l'équipe de recherche : .
13. Les résultats de cette première phase de l'enquête ont donné lieu à la publication d'un ouvrage
(COLLECTIF ONZE, Au tribunal des couples : enquête sur des affaires familiales, Odile Jacob,
Paris, 2013).
14. Les noms des lieux (à l'exception de Paris), des justiciables et des professionnel·es du droit ont
tous été modifiés afin de protéger l'anonymat des enquêté·es.
15. Anne BOIGEOL, « Les femmes et les cours : la difficile mise en œuvre de l'égalité des sexes
dans l'accès à la magistrature », dans Genèses, 22, 1996, p. 107-129 ; Céline BESSIÈRE et
Muriel MILLE, « Le juge est (souvent) une femme : conceptions du métier et pratiques des
magistrates et magistrats aux affaires familiales », dans Sociologie du travail, 55, 3, 2013,
p. 341-368 2013 ; Yoann DEMOLI et Laurent WILLEMEZ, « Les magistrats : un corps
professionnel féminisé et mobile », dans Infostat Justice, 161, 2018.
16. Défenseur des droits, Conditions de travail et expériences des discriminations dans la
profession d'avocat·e en France, 2018.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

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