Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 70

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
socialisation de genre, sur un mode vocationnel. Or, si la plupart des femmes
avocates rencontrées apprécient le droit de la famille, seules cinq d'entre elles
souhaitaient originellement se spécialiser dans cette matière 26. Comme le
rappellent nombre d'enquêté·es, un·e avocat·e qui s'installe seul·e développe
spontanément une clientèle de particuliers en droit de la famille et en droit pénal,
par la quantité que ce type d'affaires représente 27. Le bouche-à-oreille par lequel
se constitue la clientèle 28 jouerait ainsi fortement, par des logiques de réputation
et d'assignation de genre, dans la progressive spécialisation des femmes en droit
de la famille. Celle-ci peut s'expliquer également pour partie par les stéréotypes
de genre portés par leur clientèle. Selon certaines avocates rencontrées, les
femmes auraient en effet tendance à préférer une femme pour évoquer leur
intimité et les assister dans une séparation, tandis que les clients hommes
penseraient qu'il serait plus stratégique pour eux d'être défendus par une femme.
Ensuite, il semble que le droit familial permette aux avocates d'exercer leur
travail dans des conditions plus favorables. Dans un contexte où l'articulation
des temps sociaux est une problématique particulièrement aiguë pour les
avocates 29, plusieurs enquêtées ont mis en évidence le poids de la maternité et
des logiques de « conciliation » dans leur orientation vers le droit de la famille,
alors qu'elles étaient initialement spécialisées en droit pénal. C'est le cas de
Sandrine Chetrit 30, qui a travaillé six ans dans un cabinet pénaliste et qui
explique que les normes d'investissement temporel dans ce type de droit étaient
peu compatibles avec une vie de famille. Elle a ainsi préféré, à la naissance de
son fils, monter son propre cabinet en combinant droit pénal et droit de la famille,
moins chronophage selon elle :
« En 2002, je me suis installée à mon propre compte, j'ai commencé à faire droit
pénal et droit de la famille et aujourd'hui le droit de la famille a grignoté une part
du droit pénal et je peux dire que je fais deux tiers droit de la famille un tiers
pénal » (Sandrine Chetrit, 45 ans, avocate en exercice individuel spécialisée en
droit familial, à Paris. Fille d'un médecin et d'une femme travaillant dans
l'édition, mariée à un médecin).
26. Nous n'avons par ailleurs pas rencontré d'avocates développant explicitement une conception
féministe de leur investissement en droit familial comme cela a été mis en évidence par Lynn
Mather, Richard Maiman et Craig McEwen (Lynn MATHER, Richard MAIMAN et Craig
MCEWEN, Divorce Lawyers at Work, op. cit.). Cela peut s'expliquer par le moindre
investissement du droit de la famille par les féministes françaises (Anne REVILLARD, La Cause
des femmes dans l'État, PUG, Grenoble, 2016).
27. En 2017, un·e avocat·e sur quatre déclare une activité significative dans le « droit de la famille
et des personnes » (cf. Défenseur des droits, Conditions de travail et expériences des
discriminations dans la profession d'avocat·e en France, 2018).
28. Christian BESSY, L'Organisation des activités des avocats, op. cit.
29. Diane-Gabrielle TREMBLAY et Elena MASCOVA, Les Avocates, les avocats et la conciliation
travail-famille, Éditions du remue-ménage, Montréal, 2013.
30. Entretien avec Muriel Mille et Gabrielle Schütz, novembre 2014.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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