Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 86

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
longuement des histoires de vie dramatiques de certaines « mules » ou
« nourrices », les interviewées s'épanchent plutôt sur des exemples de femmes
qui agiraient sciemment en vue d'obtenir de grosses sommes d'argent. Il en est
de même s'agissant des « femmes de voyous », qu'elles présentent souvent
comme cupides, choisissant de s'unir à des trafiquants précisément parce que
cette activité augure un niveau de vie aisé (« Les nanas, elles cherchent celui qui
a le plus d'argent [...], le plus gros » ; « elles cherchent une vie de petite poule
de luxe entretenue »). Et aux yeux de quelques femmes interrogées, cette seule
vanité devrait déjà être incriminée. Cette tendance féminine à condamner
moralement les choix conjugaux provient également de leurs conséquences
supposées sur les enfants nés ou à venir, qui évolueraient dans des conditions de
vie inappropriées. La référence à la maternité est par ailleurs d'autant plus
prégnante dans les propos féminins s'agissant des femmes usagères de produits
stupéfiants, qualifiées de « mères dont l'attitude n'est pas normale », de
« mauvaises mères » qui font passer leurs enfants au second plan. Il est par
ailleurs à noter que les policières et magistrates qui ont tenu les propos les plus
dépréciatifs quant à ce profil de femmes sont précisément celles qui considèrent
que la maternité est censée protéger les femmes des conduites délinquantes.
L'idée d'une aggravation de la transgression de la loi par celle des normes de
genre et la condamnation d'un écart à l'intégrité et au féminin maternel n'ayant
été retrouvées dans aucun propos masculin, il apparaît donc que les notions de
responsabilité et de moralité sont conçues de façon plus élargies par les femmes
interrogées. On peut dès lors émettre l'hypothèse que policières et magistrates
tendent davantage que leurs homologues masculins à rechercher la responsabilité
pénale des femmes. Ce point souligne le caractère heuristique d'une prise en
compte du genre des professionnel·les pénaux pour l'analyse de leur activité et,
conséquemment, de la production des statistiques pénales. Le constat d'un
processus d'attribution de la responsabilité pénale sexuellement différencié vient
en effet préciser le phénomène de minoration de l'implication des femmes dans
la délinquance, constaté par d'autres avant nous 17, puisqu'ici, il apparaît comme
fonction de l'appartenance de sexe des acteurs et actrices pénales. Il nuance en
outre d'autres hypothèses, posant les juges hommes comme plus sévères à
l'endroit des femmes qui se détourneraient des comportements de genre attendus
en s'adonnant à des actes délictueux associés au masculin 18. Ici, les discours
réprobateurs n'ont été retrouvés que dans les propos féminins. Là où les enquêtés
17. Arlette FARGE, « Évidentes émeutières », dans Natalie ZEMON DAVIS et Arlette FARGE (éd.),
Histoire des femmes en Occident (XVIe
-XVIIIe
siècle), Plon, Paris, 2002, p. 491-496 ;
Dominique GODINEAU, Citoyennes tricoteuses, Perrin, Paris, 2004 ; Fanny BUGNON, « La
médiatisation : le cas des militantes d'Action directe », dans Coline CARDI et Geneviève
PRUVOST (éd.), Penser la violence des femmes, op. cit., 2012, p. 361-374 ; Clara CHEVALIER,
« Des émeutières passées sous silence ? L'invisibilisation de la violence des femmes au prisme
du genre (Paris, 1775) », dans Coline CARDI et Geneviève PRUVOST (éd.), Penser la violence
des femmes, op. cit., p. 85-94.
18. Claude FAUGERON et Dvora GROMAN, « La criminalité féminine libérée : de quoi ? », dans
Déviance et société, 3, 4, 1979, p. 363-376.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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