Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 87

LE DROIT COMME VECTEUR DES INÉGALITES DE GENRE
hommes ont plutôt tendance à penser les femmes rencontrées dans les affaires de
stupéfiants (et dans la délinquance en général) comme « d'impossibles
coupables », les femmes interrogées les évoquent plutôt comme « d'impossibles
victimes » 19. Ainsi, si les représentations sont l'un des principes d'élaboration
des actions déployées face aux objets de la représentation 20, le genre des acteurs
et des actrices de la mise en œuvre du droit apparaît alors comme participant de
la dynamique de mise en (non)visibilité des femmes dans le phénomène
délinquant tel qu'il se donne à voir dans les statistiques pénales. On peut par
ailleurs supposer, comme nous allons le voir à présent, que le déséquilibre
statistique entre les sexes s'effectue particulièrement au stade policier de la
chaîne pénale.
II. Les effets de l'organisation pénale sur la distribution sexuée des
statistiques
Il est ressorti de l'analyse que le processus d'invisibilisation des femmes était
également fonction de logiques organisationnelles qui tendaient à l'exacerber,
particulièrement à l'étape policière. Trois principaux facteurs participant de ce
mécanisme ont pu être identifiés, relevant tant de rapports interprofessionnels
situés (l'autonomie policière et ce que nous appelons « les présomptions
d'indulgence croisées ») que du mouvement de modernisation de l'État (l'impact
de l'accélération de la justice sur le genre de la délinquance), lequel contraint les
services publics à entrer dans une course à la performance ainsi que dans une
supposée amélioration continue de la qualité.
1. L'autonomie policière
Le premier facteur relève de ce que Dominique Monjardet a qualifié de trait
le plus central et le plus universel du travail policier 21 : l'autonomie dont
bénéficient les policiers et les policières dans leur activité au quotidien. En effet,
bien que les relations entre la police et le parquet soient régulées par le code de
procédure pénale, qui place la première sous l'autorité du second, il est un acquis
de la sociologie de la police que les policiers et les policières disposent d'une
marge de manœuvre dans la sélection des affaires et de leur « mise en forme
pénale » 22, et que leur travail résulte essentiellement de choix opérés au
quotidien de façon relativement autonome. Tout se passe comme si la relation
réelle du tandem police/parquet était l'inverse de la relation hiérarchique
officielle : « Ce sont les institutions policières qui maîtrisent le rythme de la
chaîne pénale et qui possèdent le mieux le fond des dossiers », positionnant ainsi
19. Frédéric CHAUVAUD et Gilles MALANDAIN (éd.), Impossibles victimes, impossibles coupables :
les femmes devant la justice (XIXe
- XXe siècles), PUR, Rennes, 2009.
20. Denise JODELET, « Représentations sociales : phénomènes, concept et théorie », dans Serge
MOSCOVICI (éd.), Psychologie sociale, PUF, Paris, 1984, p. 357-378.
21. Dominique MONJARDET, « Compétence et qualification comme principes d'analyse de l'action
policière », dans Sociologie du travail, 29, 1, 1987, p. 47-58.
22. Fernando ACOSTA, « De l'événement à l'infraction », op. cit.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

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