Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 93

LE DROIT COMME VECTEUR DES INÉGALITES DE GENRE
processus d'invisibilisation d'une forme de délinquance féminine qui pourrait,
dans d'autres contextes, être criminalisée.
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Au terme de cette recherche, qui fait ressortir différents facteurs
d'invisibilisation d'une forme de délinquance féminine, on voit bien comment
penser en termes de genre élargit les perspectives d'analyse de l'intervention
pénale. Le genre s'est en effet donné à voir comme un registre de normativité
déterminant les pratiques pénales et participant des marges d'action, devant la
contrainte légale, de la mise en œuvre du droit. Il est apparu comme élément
participant de la construction de l'espace de « l'usage social de la loi », qui se
situe « entre les raisons (sociales) qui ont intimement justifié le choix de la peine
ou du mandat d'arrêt et les raisons juridiquement acceptables et formulées dans
le mandat ou dans le jugement » 35. On a pu voir cependant que le genre et ses
représentations agissent différemment selon le contexte d'exercice des acteurs et
actrices pénales. Ils semblent en effet surtout exercer leurs effets au stade
policier, aux tous premiers instants de la transformation d'un phénomène en
affaire pénale, d'une part car les hommes y sont sur-représentés et d'autre part
car ces policiers et policières disposent d'une autonomie certaine dans leur
activité, sur laquelle les possibilités d'actions des parquetiers et parquetières (qui
sont majoritairement des femmes) sont réduites par les logiques
organisationnelles et par le contexte institutionnel. Ainsi, l'activité interprétative
des actrices pénales (qui repose, nous l'avons vu, sur un registre de normativité
tant pénal que moral) et la tendance à rechercher, de façon plus serrée, la
responsabilité pénale de certains profils de femmes qui en découle, pèsent moins,
dans le processus de mise en visibilité des femmes dans les filières pénales, que
celle des acteurs pénaux. En somme, le genre masculin de la police semble
exacerber celui de la délinquance, en contribuant à en exclure certaines femmes.
Ces conclusions viennent confirmer l'intérêt d'une lecture genrée des logiques
de constitution de la population délinquante mise à disposition de la justice, et
donc de visibilisation du phénomène délinquant dans les statistiques
administratives.
De ce dialogue entre sociologie de la mécanique judiciaire et études de genre
émerge ainsi la participation des institutions pénales à la production d'une
distinction entre féminin et masculin, ou, plus précisément, à sa reproduction. En
participant d'une invisibilisation des femmes dans les filières pénales et dans les
statistiques de la délinquance, les appareils policier et judiciaire exacerbent la
sur-représentation des hommes parmi les justiciables, accentuant ainsi le
caractère masculin de la délinquance et véhiculant, par là même, les
représentations stéréotypées de genre, notamment celles d'un féminin nonviolent
et plus respectueux des règles et d'un masculin plus prompt à la violence
et aux écarts aux normes. Ainsi, les pratiques pénales d'application du droit
35. Dan KAMINSKI, Condamner : une analyse des pratiques pénales, Érès, Toulouse, 2015, p. 20.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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