Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 99

LE DROIT COMME VECTEUR DES INÉGALITES DE GENRE
analyse des prises en charge d'adolescents et adolescentes confrontées à la
justice. On a ainsi pu repérer une tendance générale à la sanitarisation des
situations « minoritaires » (celles des filles), qui contraste fortement avec le
traitement du public « majoritaire » du tribunal (les garçons), faiblement
sanitarisé. On peut repérer cette double tendance en comparant des dossiers
correspondant aux différents publics de l'institution et en se focalisant sur la
manière dont les corps sont mobilisés dans les procédures. Supports d'inscription
du pouvoir 15, ces corps sont logiquement les révélateurs des différentes
modalités de contrôle des populations à l'œuvre dans l'institution judiciaire.
Dans les dossiers judiciaires, les descriptions des corps des justiciables
occupent une place importante : comprendre la situation d'un mineur revient
parfois à décrire les carences physiques qui le concernent ou à interpréter les
marques corporelles de violence subies ou agies, qui n'ont parfois rien à voir
avec le motif de sa présence au tribunal. Durant les procédures, certaines
démarches effectuées par les magistrats ou les éducateurs permettent également
de mettre au jour des besoins de soin, le plus souvent chez les filles, mais parfois
également chez les garçons. Néanmoins, les différences observables dans le
traitement social des corps sont nettes : si les corps des filles et de certains
garçons sont envisagés à l'aune du besoin de soin ou de protection, ceux des
jeunes garçons racisés de classe populaire sont le plus souvent envisagés à l'aune
du risque qu'ils représentent, notamment en matière pénale. Ici, le corps s'entend
comme incluant des manifestations somatiques (le corps anorexique, tuméfié du
fait de violences intrafamiliales, etc.), mais aussi psychiques (à travers les
déterminants psychologiques d'une sexualité jugée « trop précoce » par
exemple).
Durant un procès aux assises concernant des mineur·es (procès observé
durant l'enquête), la question des corps des justiciables était centrale. Les jeunes,
trois garçons et une fille, comparaissaient pour de multiples braquages à
l'occasion desquels la jeune fille, blanche, de classe populaire, jouait un rôle
d'ouvreuse (elle se faisait ouvrir les portes des banques, avant que les garçons
n'interviennent, armés, pour réaliser le braquage). Au cours de ce procès les
garçons, racisés, tous issus d'un même quartier d'habitat social, étaient
questionnés sur leur rôle précis durant les braquages. Il s'agissait notamment de
savoir lesquels avaient usé de menaces, voire de violences à l'encontre des
client·es et personnels des banques visées. C'est par une description des corps de
ces adolescents que la présidente du tribunal cherche alors à distinguer le rôle de
chacun, comme on peut le lire dans cet extrait de journal de terrain :
« La présidente résume, en exacerbant certains traits de caractères ou
caractéristiques physiques, les attitudes de chacun des garçons durant les
braquages. Elle évoque les " muscles " de Driss, qui, malgré cet avantage physique,
n'aurait pas usé de violence durant les braquages. Il était bien au contraire " celui
qui rassure " les victimes, en leur disant - cela semble confirmé par plusieurs
15. Michel FOUCAULT, Surveiller et punir, Gallimard, Paris, 1975.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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