Revue - Droit & Société N°112-2022 - 199

La gestion publique en tension : défis du présent, chantiers du futur. Pour un droit de l'action publique
La diversité des autorités territoriales et la variabilité des périmètres de gestion
des problèmes publics posent très directement la question de l'architecture des
dispositifs institutionnels déterminant le cadre d'exercice du pouvoir politique et
les modalités de coopération entre les acteurs concernés. Sans conteste, les problèmes
de coordination se sont accrus de manière démesurée. La dispersion du pouvoir
politique n'a fait au bout du compte que renforcer les nécessités de la coopération
en révélant une situation « d'interdépendance généralisée ». Nous sommes ainsi
dans un jeu de concurrence-collusion dans lequel aucun des joueurs ne tient à lui
seul les clés du devenir, mais où tous doivent apprendre à vivre des rapports de
dépendance de plus en plus explicites. Un double problème se pose qui est d'une
part que le changement de nature des problèmes publics accroît fortement les
interdépendances entre les acteurs, mais d'autre part que le jeu coopératif se trouve
durci et compliqué du fait de la segmentation, fragmentation et multiplication des
élites politiques liées au mouvement de décentralisation. Les multiples formes de
partenariat, tours de table, cofinancements n'illustrent pas autre chose qu'un jeu
plus ouvert, mais dont l'architecture institutionnelle induit des coûts de coordination
de plus en plus prohibitifs en même temps qu'une opacité, non pas tant sur les
processus d'action eux-mêmes dont on peut supposer à bon droit qu'ils le resteront
encore longtemps que sur la responsabilité des acteurs engagés.
Comment penser la capacité à traiter les problèmes publics dès lors qu'elle ne
peut dépendre mécaniquement des seules positions d'autorité ? Ceci est d'autant
plus fort dans le cas français, qu'après avoir longtemps constitué l'exemple le plus
abouti de centralisation juridique, la France, avec la décentralisation, a accouché
d'un système politico-administratif sans hiérarchie dès lors que la loi dit qu'il ne peut y
avoir de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. On est ainsi confronté en
France, à la grande surprise des observateurs étrangers, à un système de coordination
obligée sans véritable hiérarchie. Ceci explique le recours au principe de « collectivité
chef de file » lors de la révision constitutionnelle de 2003. Solution rassurante en ce
qu'elle n'est jamais définitive, elle n'est en fait qu'un simple procédé de gestion qui
consiste à décider que pour tel ou tel problème une collectivité territoriale (commune,
département ou région) pouvait assurer une fonction d'animation en prenant
en charge l'organisation des modalités d'action commune sans disposer toutefois
de pouvoir de contrainte sur les autres acteurs. La multiplication des scènes et
des niveaux de gouvernement, au-delà de l'explosion des coûts de coordination
qu'elle génère, ne peut manquer cependant de poser la question de leur hiérarchisation.
La diversité des autorités territoriales et la variabilité des périmètres de gestion
des problèmes publics posent clairement la question des dispositifs institutionnels
déterminant le cadre d'exercice du pouvoir politique et les modalités de coopération
entre les acteurs concernés alors même que les problèmes publics définissent
une interdépendance généralisée dans le cadre d'une « multilevel governance ». Tout
ceci explique la géométrie brouillée de l'autorité et l'extrême difficulté à produire les
réformes institutionnelles susceptibles d'y faire face. En France, les impasses actuelles
de la réforme territoriale en sont la conséquence directe. On pourrait résumer la
nature de l'enjeu en écrivant que la question qui se pose actuellement est celle de
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