Revue - Droit & Société N°112-2022 - 94

C. BEAUFRÈRE
Suffit-il à un athlète d'avoir la nationalité d'un État pour pouvoir le représenter
lors d'une compétition ? D'ordinaire, l'intrication des deux nationalités, administrative
et sportive, semble aller de soi. Mais, le recours à une telle équivalence dans
le monde du sport de haut niveau ne semble pas directement transposable car les
fédérations internationales déterminent les critères d'éligibilité à la représentation
sportive. Ainsi, la « nationalité sportive » désigne l'obédience d'un sportif à une
fédération nationale. Les conditions d'obtention d'une « nationalité sportive » diffèrent
d'une discipline à une autre et ne concernent pas uniquement la nationalité
étatique de l'athlète. Et, alors que l'on pourrait croire que la nationalité relève du
seul ressort régalien, l'ordre juridique sportif 1 prévoit des alternatives au cadre
légal étatique lorsqu'il concerne la nationalité des athlètes.
Les changements de « nationalité sportive » interrogent ce qui fonde deux des spécificités
du phénomène sportif moderne : son ancrage territorial et son organisation sur
des bases nationales, qui reste un des ressorts principaux de l'attachement du public à
son équipe. La mission de représentation dévolue aux athlètes peut s'expliquer par un
raccourci langagier qui consiste à qualifier une « équipe nationale » par l'adjectif qui
renvoie au pays qu'elle représente. En effet, d'un point de vue juridique, les athlètes
sélectionnés ne représentent pas une nation mais bien une fédération nationale : « On
parle ainsi de " l'équipe de France " , alors que du strict point de vue du droit des associations
on devrait parler de " l'équipe de la Fédération française de " 2. » Par conséquent,
les sportifs n'ont pas de lien juridique avec une nation ou un pays mais bien avec une
fédération qui, en droit, est une association. Cependant, il ne s'agit pas d'une simple
« ellipse de langage » 3 puisqu'un enjeu symbolique est lié à la composition de
l'équipe nationale 4. Mais, sachant qu'il est possible, pour un sportif, de représenter
un pays dont il n'a pas la nationalité étatique, comment assure-t-il son rôle de représentant
national ? Cette figure dépositaire de la communauté imaginée 5 de la nation
exerce-t-elle le même effet de levier quand elle est incarnée par un sportif naturalisé ?
« Nationalité » est une déclinaison de « nation », du latin natio, qui signifie
« naissance », « extraction ». La question peut donc être reformulée ainsi : peut-on
représenter une nation dans laquelle on n'est pas né, dont on n'est pas issu ? Ce
questionnement met en exergue la divergence qui peut exister entre normes juridiques
(étatiques et sportives) et pratiques en vigueur, lorsque les premières ne
recouvrent pas les secondes. Cet écart et ses implications vis-à-vis des changements
de « nationalité sportive » sont les principaux objets de notre recherche 6. Par une
1. Gérald SIMON, Puissance sportive et ordre juridique étatique, Paris : LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit
public », 1990.
2. ID., « Pourquoi la nationalité est-elle une question sportive ? », in ID. (dir.), Sport et nationalité, Paris :
Lexisnexis, Université de Bourgogne - Actes du colloque des 12 et 13 septembre 2013, Dijon, 2014, p. 1-8.
3. Ibid., p. 4.
4. Pierre COLLOMB, « Qu'est-ce qu'une équipe nationale ? », in Mathieu MAISONNEUVE (dir.), Droit et Coupe
du monde, Paris : Economica, coll. « Études juridiques », 2011, p. 43-62.
5. Benedict ANDERSON, L'imaginaire national : réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris : La
Découverte, 1996.
6. Plusieurs travaux ont déjà été menés sur la question de l'existence de la « nationalité sportive » et de
son autonomie vis-à-vis de la nationalité étatique : Pierre COLLOMB, « Le marché des naturalisés » et Johanna
GUILLAUMÉ, « Existe-t-il une nationalité sportive ? », in Gérald SIMON (dir.), Sport et nationalité, op. cit., p. 31-46.
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