Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété - 78

Faire copropriété :
pratiques de gestion et appropriations du droit en milieu populaire
niales 5. Il en ressort que ces copropriétaires populaires possèdent des dispositions
sociales susceptibles de s'activer dans ce contexte particulier ainsi que des
compétences spécifiques qui favorisent l'appropriation du droit de la copropriété.
En outre, l'injonction à l'autonomie pèse lourdement sur les classes populaires
aujourd'hui, et participe d'une dynamique de l'entreprise de soi 6 au cœur
des pratiques observées, c'est-à-dire « le processus de mobilisation des ressources
privées (personnelles, familiales, etc.) nécessaire pour y arriver : c'est
l'individu qui doit vendre son travail, trouver des financements, démarcher des
clients, engager des prestataires de services, mobiliser son carnet d'adresses
pour construire son logement et créer son emploi 7 ». Si nous mettons en parallèle
la notion d'entreprise de soi et celle du travail-à-côté de Florence weber 8,
pour laquelle morale et gout du travail sont indissociables, il semble qu'une
morale de l'activité deviendrait un élément structurant des relations et des pratiques
des membres appartenant aux couches stables des classes populaires.
L'analyse s'efforce ainsi de restituer les pratiques de gestion observées,
d'en dégager les régularités, de mettre au jour les règles et les normes qui les
sous-tendent. Car l'activation sociale du droit 9 est l'expression des normes morales,
sociales et économiques contextualisées et le fruit d'un travail sur le droit
existant 10. Il n'est pas question d'une relation entre un individu sans histoire et
un droit formel autonome. Nous commencerons par présenter la copropriété
enquêtée et ses occupants pour aborder les sens accordés à l'investissement
dans les affaires de l'immeuble. Ensuite, nous analyserons le travail pour
l'immeuble et l'organisation de ce travail instituée au sein du conseil syndical,
pour lesquels il s'agira d'éclairer les règles de fonctionnement qui les régissent
et l'appropriation du droit sous-tendue. Enfin, nous montrerons comment, dans
ce contexte socio-économique spécifique, des pratiques économiques collectives
émergent.
5. Ce travail s'inscrit dans la continuité des travaux récents sur les classes populaires qui
s'inspirent de la notion proposée par Olivier SCHWARTZ. Voir notamment : Olivier MASCLET,
Thomas AMOSSE, Lise BERNARD, Marie CARTIER, Marie-Hélène LECHIEN, Olivier
SCHWARTZ et Yasmine SIBLOT (dir.), Être comme tout le monde, Employées et ouvriers dans
la France contemporaine, Raisons d'agir, Paris, 2020 ; Marie-Hélène LECHIEN et Yasmine
SIBLOT (coord.), « Eux/Nous/Ils », dans Sociologie, 2019/1, vol. 10, 2019.
6. Sarah ABDELNOUR et Anne LAMBERT, « " L'entreprise de soi " , un nouveau mode de gestion
politique des classes populaires ? Analyse croisée de l'accession à la propriété et de l'autoemploi
(1977-2012) », dans Genèses, n° 95, 2014.
Ibid., p. 64.
7.
8.
9.
Florence WEBER, Le travail à-côté, une ethnographie des perceptions, EHESS, Paris, 2009
(1989).
Jacques COMMAILLE, À quoi nous sert le droit ?, Gallimard, Paris, 2015, p. 74.
10. Emilia SCHIJMAN, À qui appartient le droit ? Ethnographier une économie de pauvreté, Maison
des Sciences de l'Homme/LGDJ, Paris, séries : « Droit et société », 2019.
Recherches et travaux, vol. 37/2023
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