Droit et Société - Les audiences à distance - 1re - 153

LA GENERALISATION

que c'est inévitable, bientôt on ne plaidera plus, on plaide déjà de moins en moins.
Tant pis j'aurai fait mon temps. » regrette-t-il. Mais la contrainte, dont il ne parle
pas mais que notre travail permet de réintroduire dans l'analyse, c'est aussi celle qui
est liée à l'histoire de l'implantation locale de la visioconférence. Le caractère imposé de la mise en place de la visioconférence explique cette situation où les avocats sont, de fait, contraints à la visioconférence et peuvent, pour certains estimer
que la seule échappatoire est la ruse.
4.2.3. Stratégies d'affrontement

Chez Michel de Certeau, la stratégie est « le calcul des rapports de force qui
devient possible à partir du moment où un sujet de vouloir et de pouvoir est isolable » 103 d'un environnement. Elle postule un lieu susceptible d'être circonscrit comme un propre et donc de servir de base à une gestion de ses relations
avec une extériorité distincte. Dans le cas de nos avocats, ce lieu existe : c'est la
profession des avocats, telle qu'elle est organisée autour de différentes institutions, les barreaux locaux et Conseils de l'ordre, le Conseil national des barreaux... Ces espaces d'action sont faiblement mobilisés pour lutter collectivement contre la visioconférence 104 , ce qui peut expliquer que des modes
d'action plus individualisés soient investis et surtout que ce soit le procès qui
soit pensé comme un lieu propre qui demande à être investi.
4.2.3.1. S'approprier la scène judiciaire comme espace de démonstration
des limites de la visioconférence

Une attitude possible consiste à défendre l'idée que, dans un dossier donné,
le recours à la visioconférence n'est pas pertinent et à s'appuyer sur ce cas pour
effectuer une montée en généralité qui dénonce les abus dans le recours à cette
technologie. Les avocats investissent alors un cas, qui leur apparaît approprié,
pour critiquer plus largement les tendances à systématiser la visioconférence.
Nous avons assisté à deux situations de ce type, la première qui a obtenu gain
de cause (l'extraction du détenu et sa comparution corps présent à l'audience)
et la seconde qui n'a pas été suivie d'effet (le détenu a comparu par visioconférence). Les deux ont été menées par des avocats membres du SAF, qui se connaissent bien, qui ont travaillé dans le même cabinet pendant un certain temps -
l'un a été collaborateur de l'autre - et qui par ailleurs ont également été ceux
qui ont déployé d'autres contestations de la visioconférence comme nous le
verrons plus loin. Nous présenterons ici le premier cas.
Maître Rimaille est un avocat pénaliste, plutôt en fin de carrière, connu sur
la place de Grenoble à la fois pour ses succès judiciaires et pour son engagement pour les droits de la défense lequel s'exprime notamment à travers son
appartenance au SAF. Dans une audience d'examen d'une demande de mise en
103. Ibid.
104. À Grenoble, cette question de la visioconférence, avant ou après la circulaire de 2009, n'a fait
l'objet d'aucune prise de position collective et publique. Le barreau de Grenoble est resté
muet.

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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 57, 2017

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