Droit et Société - Les audiences à distance - 1re - 168

LES AUDIENCES A DISTANCE

le monde des entreprises, ou bien dans la société de façon générale. Ainsi de
certains des responsables de la direction des services judiciaires, dans le cas de
Saint-Pierre-et-Miquelon. Mais ces objectifs politiques ne peuvent justement
pas être mis en scène explicitement. Parce qu'ils ne font pas consensus dans
l'institution et qu'ils entrent même en contradiction avec certaines des valeurs
traditionnellement affichées par celle-ci, les afficher décrédibiliserait ceux qui
les énoncent et serait contreproductif.
L'apprentissage de cette forme de réserve et d'une mobilité argumentative
capable de gérer la tension entre l'innovation comme solution dérogatoire à une
situation exceptionnelle, et l'innovation comme expérimentation préalable à un
déploiement de plus grande ampleur, est au cœur d'une première épreuve à
l'issue de laquelle un point d'appui est posé, s'agissant de la reconnaissance
juridique de la visioconférence comme forme appropriée de réalisation des interactions judiciaires et de l'audience.
2.3. L'international comme registre de justification
L'hypothèse d'une forme de pression internationale à l'adoption de la visioconférence voire de logiques d'emprunts ou de transferts avec d'autres pays
pouvait sembler séduisante au premier abord. Mais à l'issue des enquêtes de
terrain serrées qui ont été réalisées, force est de constater que cette hypothèse
n'est en fait pas celle qui rend le mieux compte de la façon dont la visioconférence s'est installée dans les salles d'audiences françaises ou au moins qu'elle
est inégalement pertinente suivant les arènes et les périodes considérées.
Autrement dit, la dimension exogène, tant internationale que supranationale,
n'est pas structurante ni déterminante dans cette histoire. Il apparaît clairement
que cet équipement technologique intervient principalement comme une réponse concrète à des problèmes pratiques dans chacune des trois périodes identifiées : manque de magistrats à Saint-Pierre-et-Miquelon, difficulté à faire venir des témoins jusque dans les territoires d'outremer dans le cas des expérimentations à la cour d'assises de Saint-Denis de la Réunion, besoin de rationaliser et de réduire les coûts liés aux escortes de personnes détenues dans la
phase de déploiement national et généralisé de la visioconférence. À cet égard,
il est clair que les acteurs qui œuvrent à l'implantation de la visioconférence
dans l'organisation judiciaire envisagent le recours à cette technologie dans une
perspective de problem-solving et à partir de cadres cognitifs centrés sur une
vision instrumentale et technicienne de la visioconférence.
Cette caractéristique fait écho à d'autres histoires singulières. Qu'il s'agisse
de protéger les témoins comme ce fut le cas dans les procès anti-mafia en Italie,
de soustraire les victimes aux conditions éprouvantes de l'audience comme
dans un programme australien17 ou bien encore d'économiser les coûts affé-

17. Anne WALLACE, op. cit.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 57, 2017

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