Droit et Société Classics - Les métamorphoses de la régulation politique - 1re - 125

Chapitre 4 Les deux corps du droit
Une régulation juridique inscrite dans la régulation politique

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mouvements LGBT 55, qui ont provoqué un renversement de la relation
entre la puissance publique et les individus en imposant des réformes
touchant à des aspects fondamentaux de l'univers privé : l'égalité des
statuts entre ses membres, les conditions de sa dissolution ou de sa
constitution, les modes d'établissement de la filiation, ceci en référence
à des principes fondateurs de la démocratie.
Bien entendu, une telle évolution n'est jamais irrémédiablement
linéaire. Elle peut être marquée par la permanence de tensions
suscitées : d'une part, par la dynamique de mouvements sociaux avec
l'objectif d'aller plus loin (voir les débats récurrents sur le genre, ceux sur
la procréation médicalement assistée, sur la gestation par autrui, sur
l'euthanasie qui suscite de fortes mobilisations au sein de la société
civile...) ; d'autre part, par la volonté d'autres courants de réinstaller
dans leurs prérogatives l'État et le « Droit » : celles qui touchent au
pouvoir d'instituer en la matière, ceci au nom du principe fortement
établi dans l'univers de la pensée juridique, et qui n'est pas indépendant
d'une conception de l'ordre politique, suivant lequel une « règle ne peut
(...) être découverte dans la société elle-même* » 56. On a là une
expression exemplaire de la spécificité de la régulation juridique et de
l'influence particulière qu'elle peut avoir sur la régulation politique dans
la mesure où elle prend sa force dans la double expression d'un
magistère savant et d'un magistère moral visant à conférer le pouvoir
d'une évidence à ce que ses locuteurs énoncent. Par exemple, l'idée
assumée de dogme est ainsi essentialisée, sans même qu'il puisse être
question d'acteurs situés, par le recours à une « théorie de la fonction
anthropologique du droit » avancée avec autorité comme « une
injonction intangible parce qu'inexplicable, qui peut et doit être montrée
et célébrée mais ne peut être ni démontrée ni modifiée* » 57. C'est ainsi
que les réformes touchant à la filiation et au droit des personnes dans le
54.
55.

56.
57.

Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ, Marc PICHARD et Diane ROMAN, La loi et le Genre. Études
critiques de droit français, Paris, CNRS Éditions, 2014.
Jacques COMMAILLE et Claude MARTIN, « Les conditions d'une démocratisation de la
vie privée », dans Daniel BORRILLO et Éric FASSIN, Au-delà du PACS. L'expertise familiale
à l'épreuve de l'homosexualité, Paris, PUF, coll. « Politique d'aujourd'hui », 2001,
p. 61-78.
Alain SUPIOT, Homo Juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du droit, Paris,
Seuil, 2005, p. 82.
« L'internationalisation du droit : dégradation ou recomposition ? Dialogue entre
Mireille DELMAS- MARTY et Alain SUPIOT », Esprit, n° 11, 2012, p. 35-51, cité par
Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ, « Analyse juridique du genre », dans Rafael ENCINAS DE
MUNAGORI et al (dir.), L'analyse juridique de (x). Le droit parmi les sciences sociales,
Paris, Editions Kimé, 2016, p. 134.

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