Systèmes Pratique - États et marchés financiers - 1re - 55

Le rôle des États dans le développement des marchés financiers au

XIX

siècle

réduisit progressivement grâce à la croissance économique, jusqu'à la veille
de la Première Guerre mondiale.
Au cours de la Grande Guerre, les États belligérants se financèrent par
des émissions massives de titres publics qui eurent pour effet d'absorber
l'essentiel de l'épargne privée disponible. En France, la Banque centrale
octroya en 1915 « deux lignes de crédit à la Chambre syndicale des agents
de change »104 afin de les aider à régler les opérations à terme. Cependant,
des lois nationalistes, adoptées entre 1916 et 1919, réduisirent
considérablement l'activité de la Coulisse en la coupant de ses réseaux
internationaux. L'activité de coulissier fut réservée aux seuls nationaux
français - mais nombre d'entre eux furent naturalisés - et les émissions
des sociétés étrangères furent subordonnées à une autorisation
administrative préalable du ministère des Finances. Cette exigence fut
ensuite progressivement assouplie, mais elle demeura en application
jusque dans les années 1960 (cf. Seconde partie).

C. D'un monde à l'autre : Marcel Proust, à la recherche
de la rente perdue
Comme on sait, Marcel Proust (1871-1922) a génialement peint le
monde des rentiers de la Belle Époque, au sein duquel s'opposaient les
salons de l'aristocratie et ceux de la bourgeoisie d'affaires. Si la Recherche
du temps perdu, écrite de 1906 à 1922, décrit un « temps où la terre [tendait]
à passer aux mains de financiers », elle rappelle également que certains
aristocrates savaient eux aussi investir en bourse105. Ils en tiraient une part
importante de leur fortune mais ils ne devaient pas en parler, suivant ainsi
« les préceptes orgueilleusement humbles d'un snobisme évangélique »,
tels que ceux qui avaient été inculqués à la princesse de Parme, dont tous
les gestes en société « semblaient répéter : "tes aïeux étaient princes
de Clèves et de Juliens dès 647 ; Dieu a voulu dans sa bonté que tu
possédasses presque toutes les actions du canal de Suez et trois fois
autant de Royal Dutch qu'Edmond de Rothschild [...]. Aussi, n'aie jamais
l'air en parlant de te rappeler de si grands privilèges, non qu'ils soient
précaires (car on ne peut rien changer à l'ancienneté de ta race et on aura
toujours besoin de pétrole) mais il est inutile d'enseigner que tu es mieux
née que quiconque et que tes placements sont de premier ordre, tout le
monde le sait" »106.
104. BLANCHETON B., « La Banque de France et le "prêt en dernier ressort" durant la crise de
liquidité en 1914 » in BONIN H. et FIGUET J.-M. (dir.), Crises et régulation bancaires. Les
cheminements de l'instabilité et de la stabilité bancaires, 2016, Droz, p. 199-206.
105. En revanche, dans son roman précité, L' Argent, publié en 1891, ZOLA décrit la ruine d'une
aristocrate, la comtesse de Beauvilliers, qui perdit dans un krach boursier les biens
immobiliers qui avaient échappé à l'impécuniosité de son mari.
106. PROUST M., À la recherche du temps perdu. Le Côté de Guermantes, 1988, Gallimard, coll.
La Pléiade, p. 720.

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