Manuels - Introduction historique au droit (XIIIe-XXe siècle) - 4e - 232

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT 264. La justice déléguée est celle que le roi confie normalement, de façon permanente et ordinaire, à ses divers tribunaux. Il la délègue sans l'aliéner (contrairement à l'évolution qu'avaient connue les justices seigneuriales). Progressivement le nombre des juridictions royales s'est accru et une hiérarchie s'est établie, sans pour autant qu'il n'y ait jamais organisation d'ensemble50. Ces tribunaux sont aux mains d'officiers, détenant la patrimonialité de leur charge, ce qui a comme conséquence qu'ils sont souvent plus soucieux de la valeur de cette charge que du bon ordre de la justice dans le Royaume. Les jugements rendus n'ont que peu de prestige, ne serait-ce que parce qu'ils émanent de juges peu compétents. Leur jurisprudence n'est guère source de droit, exception faite des parlements (infra, nº 266). Des juridictions dites d'attribution, ou d'exception (les deux termes étant ici synonymes), connaissant de certaines catégories de litiges, précisément déterminées51. 265. La justice retenue est celle que le roi exerce par lui-même, en vertu de son autorité propre. Il « retient » à lui cette possibilité d'intervenir quand il le veut, comme il le veut. Cela ne veut pas dire qu'il statue personnellement, mais le choix des modalités de procédure ne dépend que de lui. La compétence royale se justifie parce que toute justice émane du roi. En outre, l'absence de séparation des pouvoirs légitime que le roi puisse modifier le droit applicable. En pratique, le roi n'exerce pas lui-même la justice retenue, mais confie le procès qu'il veut aux juges de son choix, en leur dictant les règles de procédure et de fond à suivre et en indiquant 50. Dès le XIIe siècle, entreprenant sa lutte contre les justices seigneuriales, le roi créa une première catégorie d'officiers ayant des pouvoirs de justice, les prévôts. Un siècle plus tard, il ajouta les baillis et sénéchaux, chargés, entre autres compétences, de juger en appel des jugements rendus par les prévôts. Prévôts, baillis, sénéchaux, sont tout à la fois agents de l'administration locale et juges, les deux fonctions n'étant pas séparées. Sur leur formation et leur fonction, voir G. GIORDANENGO, « Noble homme maistre Philippe de Biaumanoir chevaillier baillif de Vermandois, ou des baillis et d'un bailli », RHD, 92 (1), 2014, p. 15-36 : au Moyen Âge, les baillis possédaient une solide formation juridique et eurent pour la plupart une carrière prestigieuse. En 1552, Henri II érigea les présidiaux, qui en principe devaient décharger baillis et sénéchaux sans être un degré de plus de juridiction mais qui, finalement, alourdirent considérablement l'appareil judiciaire. Les parlements, habituellement qualifiés de Cours souveraines, sont le plus haut échelon de la hiérarchie judiciaire de droit commun. Pendant longtemps, il n'y eut qu'un seul parlement, celui de Paris, issu de la Curia regis, la cour des conseillers du roi médiéval, qui prit son autonomie et eut son personnel permanent dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Les parlements de provinces apparurent progressivement (supra, nº 124). 51. La notion de juridiction d'exception n'implique pas, comme de nos jours, une idée de répression politique. L'existence des juridictions dites d'attribution ou d'exception résulte de ce que chaque secteur de l'administration possède ses tribunaux, situation logique dans un système qui ignore la séparation des fonctions administratives et judiciaires. Il existe ainsi des juridictions d'attribution en matière de police (le tribunal des prévôts des maréchaux, sorte de gendarmerie dont les décisions sont immédiatement exécutoires, même s'il s'agit de condamnation à mort). D'autres tribunaux interviennent pour les litiges liés aux affaires commerciales (juridictions consulaires, ancêtres de nos actuels tribunaux de commerce, ou amirautés, spécialisés dans la marine). Le secteur des finances a ses tribunaux et même des cours souveraines d'attribution : Cours des Comptes, vérifiant les comptes des agents royaux ; Cour des Aides, à compétence fiscale ; Cour des Monnaies, statuant sur les litiges liés aux modalités d'émission des monnaies. La jurisprudence de ces cours souveraines d'attribution est une source de droit notable. Lorsqu'elles ont tranché, les juridictions inférieures se conformeront généralement à la solution. En outre, dans la mesure où ces cours sont directement liées à une branche de l'administration (impôts, eaux et forêts...), elles agissent en accord avec l'administration en question. Il y a harmonisation entre les mesures administratives et les décisions de justice ; l'autorité des unes et des autres en est renforcée. 232

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