Bibliothèque de droit social - Tome 61 - La notion de groupe d'entreprises en droit du travail - 27

Introduction

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14. Sans conteste, le droit du travail entretient une grande proximité avec l'organisation sociale en général et l'organisation des activités économiques en particulier71.
Selon Gérard Lyon-Caen, « si le Droit du travail requiert la connaissance d'autres
branches du droit, il impose en plus une culture économique approfondie. Il n'est pas
possible d'édicter ou d'expliquer des normes sans connaissance de la matière qu'elles
sont appelées à régir »72. Procédé de régulation des rapports sociaux de production73
participant à la définition d'un cadre de vie sociétaire, le droit du travail joue un rôle
actif en ce domaine74. Sans remettre en cause le principe même de l'accumulation du
capital ni la poursuite du profit sur lesquels repose le système capitaliste75, il contribue,
plus que tout autre76, à la mise en place de dispositifs normatifs destinés à encadrer la
réalité des rapports de force économiques pour les soumettre à des exigences de justice
et les rendre acceptables77. « Le droit pose ainsi des contraintes quant à la façon d'user
des ressources propres à un monde, de façon à limiter les conduites trop prédatrices qui
mettraient en péril la logique sur laquelle repose ce monde. En même temps, il contribue
à en assurer la légitimité »78. À chaque mode d'accumulation du capital correspondent
des dispositifs de contrainte normative déterminés. Or, il arrive que le capitalisme se
transforme, opère un « déplacement » de ses modes d'accumulation du profit. Il s'affranchit alors pour un temps de « l'exigence de renforcement des dispositifs de justice
sociale en se rendant plus difficilement déchiffrable, en « brouillant les cartes » »79. La
transformation des règles du jeu appelle alors la mise en place de nouveaux dispositifs
normatifs contraignants capables de saisir les spécificités de la nouvelle configuration
afin de la « soumettre à une forme de justice qui en sauvegarde néanmoins la teneur »80.
71. Formellement, cette proximité se traduit notamment par l'emploi d'un lexique issu du langage économique courant.  C.  Wolmark, La définition prétorienne. Etude en droit du travail, Paris,
Dalloz, 2007, p.  34 s. ; A.  Lyon-Caen, « À propos de l'adjectif « économique » dans la langue du
droit », in A. Jeammaud (dir.), Le droit du travail confronté à l'économie, Paris, Dalloz, 2005, p. 137 s. ;
G. Lyon-Caen, « Le langage du droit du travail », in N. Molfessis (dir.) Les mots de la loi, Paris, Economica, 1999, p. 1.
72. G. Lyon-Caen, « La concentration du capital et le droit du travail », Dr. soc. 1983, p. 300.
73. A. Jeammaud, « Le droit du travail dans le capitalisme, question de fonctions et de fonctionnement », in A. Jeammaud (dir.), Le droit du travail confronté à l'économie, Paris, Dalloz, coll. Thèmes
et commentaires, 2005, p. 15.
74. Ibid., p. 23 s. Les théories économiques de type institutionnaliste, régulationniste ou conventionnaliste, rejettent l'idée que seul le mécanisme du prix et du marché régulent les activités économiques et reconnaissent un rôle fondamental au droit.
75. L. Boltanski et E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, Nrf essais,
1999, p. 71. Également sur les relations entre le droit du travail et le capitalisme : G. Lyon-Caen, « Permanence et renouvellement du Droit du travail dans une économie globalisée », Dr. Ouvr. 2004, p. 49 ;
F. Collin, R. Dhoquois, P. -H. Goutierre, A. Jeammaud, G. Lyon-Caen, A. Roudil, Le droit capitaliste
du travail, Grenoble, PU Grenoble, 1980.
76. O. Favereau, « Le droit du travail face au capitalisme : d'une normativité ambiguë à la normativité de l'ambiguïté », in A. Jeammaud (dir.), Le droit du travail confronté à l'économie, op. cit.,
p. 49. C'est le droit du travail « qui se retrouve le plus directement en charge de cette responsabilité :
contribuer à la possibilité d'un monde commun (...) malgré ce déséquilibre structurel, malgré cette inégalité principielle ».
77. Ibid., p.  40 s. Selon L.  Boltanski et E.  Chiapello, le capitalisme s'entoure d'un « esprit du
capitalisme », c'est-à-dire d'un ensemble de justifications qui lui donnent sens et suscite l'adhésion du
plus grand nombre, y compris de ceux qui ne détiennent pas ou peu de capital. Les modes légitimes
d'accumulation du capital, c'est-à-dire ceux qui sont conformes aux justifications correspondant aux
définitions du bien commun applicable dans une société donnée, ont d'autant plus de chance de s'imposer que les justifications reposent sur de solides dispositifs normatifs dont la violation appelle une
sanction.
78. Ibid., p. 498.
79. Ibid., p. 71.
80. Ibid., p. 161.

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