Bibliothèque de droit social - Tome 61 - La notion de groupe d'entreprises en droit du travail - 308

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LA NOTION DE GROUPE D'ENTREPRISES EN DROIT DU TRAVAIL

Le système est donc à la fois plus, moins et autre que la somme des parties. De même,
les parties sont elles-mêmes autres que ce qu'elles étaient ou seraient en dehors du système.
L'unité complexe se forme en même temps qu'elle transforme les éléments en parties d'un
tout. En ce sens, il est impossible de connaître les parties indépendamment de leur appartenance au tout. La prise en compte de l'unité complexe du groupe implique de ce fait de
replacer les actions de chacune des entités membres dans la globalité dont le groupe est
porteur.  Les choix et décisions, le fonctionnement de l'entité membre du groupe ne
peuvent se comprendre que référés à l'action globale du groupe, c'est-à-dire à l'action
combinée et coordonnée de l'ensemble des autres entités membres du groupe.
774. Une fois l'unité complexe du groupe mise en évidence, il est apparu nécessaire d'en définir la spécificité. L'Unitas multiplex est un modèle qui peut être appliqué
à une grande diversité de phénomènes complexes et non à un type particulier. La
spécificité de l'unité organisationnelle du groupe réside dans la nature particulière de
sa contrainte organisationnelle qui peut s'exercer par différentes techniques. Là
encore, la pensée complexe permet d'envisager les relations de pouvoir sous un angle
nouveau. Alors que la représentation pyramidale du groupe conduit à considérer l'entité dominante comme l'unique centre de pouvoir s'imposant unilatéralement à des
entreprises privées de toute autonomie, la représentation complexe du groupe conduit
à nuancer une telle perception. Si la contrainte organisationnelle du groupe sur ses
membres, contrainte sans laquelle l'unité complexe s'étiolerait, est bien réelle, elle ne
doit pas pour autant conduire à un raisonnement déterministe. L'association de l'un
et du multiple repose sur un savant dosage, variable d'un groupe à l'autre et d'une
entité membre à l'autre selon sa position dans le groupe, de contrainte et de liberté.
S'il est incontestable que l'entreprise qui exerce le contrôle dans l'intérêt du groupe
occupe une position centrale déterminante, ce contrôle ne prive pas de toute capacité
d'action les entreprises contrôlées. Le pouvoir hiérarchique cède la place à une relation d'autonomie contrôlée. Plutôt que d'imposer aux entreprises contrôlées un comportement unique, le pouvoir de contrôle oriente davantage leur action en portant
« sur une gamme de stratégies possibles parmi lesquelles l'acteur opère un choix »228.
Ainsi entendu, il devient possible de comprendre la manière dont l'unité complexe
parvient à maintenir à la fois son unité et la diversité de ses membres mais aussi la
relation dynamique qui s'instaure entre le tout et les parties. L'unité complexe transforme autant les parties qu'elle est transformée en retour par elles. C'est aussi cette
capacité à se réorganiser en permanence qui explique la formidable capacité d'adaptation des groupes à leur environnement.
En définitive, le groupe désigne une unité complexe ayant un intérêt spécifique irréductible
à la somme des intérêts de ses membres, composée d'entités juridiquement autonomes par
l'intermédiaire desquelles se déploie son action collective et sur lesquelles elle exerce, selon des
modes divers, une contrainte organisationnelle nécessaire au maintien de sa cohésion et à la
réalisation de ses buts, et dans le cadre de laquelle celles-ci jouissent d'une relative autonomie.
Le concept de groupe ainsi formulé permet de préciser tout en la renouvelant la
représentation juridique du groupe.
En mettant en lumière la dimension globale du groupe dans sa complexité organisationnelle, l'attention s'est concentrée sur les entités constitutives du groupe et
leurs relations, il convient à présent d'envisager de quelle manière le modèle conceptuel proposé du groupe permet de renouveler la lecture du régime juridique attaché à
la notion de groupe en droit du travail et d'apporter un certain nombre de pistes de
réflexion à des problèmes pratiques récurrents.
228. M. Crozier et E. Friedberg, L'acteur et le système, Paris, Seuil, 1977, p. 113.

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