Bibliothèque de droit social - Tome 61 - La notion de groupe d'entreprises en droit du travail - 45

Le groupe : une organisation Économique juridiquement difficile À saisir

2. L'application de la théorie de la réception au groupe d'entreprises
48. L'approche du groupe ou de l'entreprise en tant qu'ordre juridique n'est pas
inédite. Déjà, Nikitas Aliprantis proposait, à partir d'une approche normativiste du
droit, de considérer l'entreprise comme un ordre juridique. Selon lui, « la conception
proposée permet de dépasser l'obstacle classique qui liait le sujet de droit à la personnalité juridique. L'ordre juridique de l'entreprise se passe de la personnalité juridique mais
assure l'unité de cet ordre par la norme fondamentale. La notion peut donc s'appliquer à
toute entreprise, qu'elle ait une structure simple ou complexe, et même à des groupes de
sociétés ou d'entreprises à condition de repérer cette norme fondamentale »22. Concernant le groupe d'entreprises, Antoine Lyon-Caen a identifié un « ordre organisationnel »23 à propos des statuts et décisions des dirigeants de multinationales, tandis que
Charley Hannoun a qualifié le groupe de sociétés d'« ordre infra-économique »24.
49. Malgré la pluralité de ses membres, le groupe constitue une unité organisationnelle dotée de règles de fonctionnement internes qui lui sont propres. À bien des
égards, cet ordre interne présente les traits d'un ordre juridique. Il en est ainsi de
l'autonomie sociale. Le groupe présente bien les caractéristiques d'un ordre corporatif. Il produit de nombreuses règles à destination de ses membres, parmi lesquelles les
codes de conduite figurent en bonne place. Il en est de même d'une série de dispositions réglant le statut des dirigeants de sociétés dans le groupe ou tendant encore à
l'harmonisation des relations de travail des salariés du groupe dans certains domaines
spécifiques. Ces règles destinées à l'ensemble des membres du groupe ont vocation à
assurer l'unité organisationnelle du groupe.
50. Ensuite, les éléments d'une autonomie organique sont également identifiables. Des études empiriques sur les groupes mettent en évidence l'existence d'organes de groupe « officieux » qui ne sont ni institués ni même reconnus par le législateur. Il s'agit d'organes propres à l'organisation interne du groupe, qui permettent le
plus souvent d'organiser la prise de décision dans le groupe, en associant l'ensemble
des sociétés du groupe, selon des modalités variées. Tous les groupes ne mettent pas en
place de tels organes. La prise de décision au niveau du groupe relève alors de l'hypothèse du « dédoublement fonctionnel ». Le plus souvent, ce sont les organes de la
société mère qui sont investis du pouvoir de prendre des décisions pour l'ensemble du
groupe tout en continuant à exercer en parallèle leurs fonctions traditionnelles d'organes de la société mère. L'autonomie des organes de groupe est non pas exclusive
mais relative. Certaines matières relèvent exclusivement de la compétence des organes
de l'entreprise tandis que d'autres sont plus volontiers rattachées aux organes du
groupe. Dans son analyse de la prise de décision dans les groupes, Michel Ghertman25
a mis en évidence une typologie de la prise de décision en distinguant, selon leur
nature, celles qui sont généralement prises au niveau du groupe de celles relevant en
principe du niveau de l'entreprise. Comme pour le fédéralisme et la décentralisation,
il est possible d'identifier une répartition des attributions entre le groupe et les entités
qui le composent. Cette répartition variera d'un groupe à l'autre et se fait
22. N. Aliprantis, « L'entreprise en tant qu'ordre juridique », in Hommages en l'honneur du Professeur Hélène Sinay, Paris, Peter Lang, 1994, p. 206.
23. A. Lyon-Caen, « Observations sur les dirigeants des entreprises transnationales », article
précité.
24. Ch. Hannoun, Le droit et les groupes de sociétés, op. cit., p. 158 s. L'analyse de cet auteur
présente l'intérêt de ne pas se prononcer sur la nature juridique de l'ordre du groupe par une approche
extensive de la notion de réception entre un ordre infra-économique et un ordre juridique. Selon une
conception classique, la réception ne peut exister qu'entre deux ordres juridiques. Voir en ce sens :
N. Aliprantis, La place de la convention collective dans la hiérarchie des normes, op. cit.
25. M. Ghertman, La prise de décision, Paris, PUF, 1981.

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