Bibliothèque de droit social - Tome 61 - La notion de groupe d'entreprises en droit du travail - 70

LA NOTION DE GROUPE D'ENTREPRISES EN DROIT DU TRAVAIL

de sociétés réside dans l'autonomie juridique de chaque filiale, les unes ne répondant pas
du passif des autres. Conférer la personnalité juridique aux groupes de sociétés reviendrait à anéantir cet avantage »141. Seules ses entités constitutives, bénéficiant de la personnalité juridique, peuvent être mises en cause par les tiers et engager leur responsabilité. Ensuite, l'absence de personnification juridique permet au groupe de mener
« une action collective de manière discrète »142. En l'absence de mesure de publicité,
exigence souvent imposée par le législateur pour obtenir la personnalité juridique, il
est souvent difficile pour les tiers d'identifier de manière exhaustive les membres du
groupement. C'est la raison pour laquelle le groupe est souvent qualifié d'organisation « occulte ». Enfin, le groupe gagne en souplesse dans la mesure où il n'a pas à se
plier aux exigences d'organisation et de moyens imposées au fonctionnement des
groupements personnifiés (représentants légaux, siège, capital social minimum et/ou
responsabilité de ses membres...) pour assurer la protection des tiers143. Il peut modifier sa physionomie, au fil des restructurations, sans être soumis à d'incessantes
formalités.
132. Non seulement le groupe tire un avantage substantiel de l'absence de personnification, mais encore, cette absence n'affecte pas l'efficacité de ses activités et de
son action collective, bien au contraire. À la différence des groupements personnifiés
dont l'organisation interne est le plus souvent réglementée par le législateur, il bénéficie d'une liberté d'organisation qui pourra se traduire dans les faits par la mise en
place d'organes spécifiques lui permettant d'être suffisamment structuré pour maintenir la cohérence de l'ensemble organisationnel et rendre possible l'expression d'une
« volonté collective » de groupe.
133. L'absence de réglementation légale du fonctionnement interne des groupes
peut également constituer un argument justifiant l'absence de reconnaissance jurisprudentielle de la personnification juridique des groupes.

ii. L'absence de pouvoir pour les « utilisateurs » du droit de créer des personnes morales
134. Tout en affirmant que « la personnalité morale n'est pas une création de la
loi »144, et en s'attribuant ainsi le pouvoir, dans le silence du législateur, de reconnaître
ou non la personnalité morale à certains groupements, la Cour de cassation n'accorde
la personnalité morale « qu'à des groupements dotés par le législateur d'une organisation satisfaisante »145. Il en résulte que les « utilisateurs » du droit n'ont pas le pouvoir
de créer des personnes morales. « S'ils veulent donner une autonomie, une individualité
et une personnalité à ce qu'ils entreprennent, ils doivent choisir la structure d'accueil qui
leur convient le mieux parmi celles que propose le législateur. En revanche, ils peuvent
souhaiter disposer de la plus grande liberté possible pour adapter leur structure à leurs
besoins »146. Dans ce dernier cas, la personnalité juridique du groupement n'est pas
nécessairement reconnue.
135. En définitive, malgré son unité organisationnelle et décisionnelle, le groupe
est dépourvu de personnalité juridique, ce qui a pour effet de le rendre inopposable
aux tiers. Autrement dit, en droit du travail, le groupe ne peut pas être considéré
comme l'employeur des salariés. Dans le silence du législateur et en dépit de
141. Ibid.
142. B. Dondero, Les groupements dépourvus de personnalité juridique en droit privé, op. cit. p. 19.
143. Ibid.
144. Cass. civ. 2e, 28 janv. 1954, JCP G 1954, II, 7958, concl. Lemoine, D. 1954, p. 217, note
Levasseur, Dr. soc. 1954, p. 191, note P. Durand.
145. J. Paillusseau, « Le droit moderne de la personnalité morale », article précité, p. 734.
146. Ibid.

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