Anthologie du droit - Essais sur les lois - 50

ESSAIS SUR LES LOIS

l'usage, n'a d'autre limite que celui-ci. L'usage, qu'est-ce à dire ? Ce sont les
mœurs. C'est que les mœurs ont des propriétés sans pareilles, les mœurs et non les
lois, lorsque la tâche normative à accomplir est de déterminer ce qu'il est bon ou
mauvais de laisser faire aux enfants. Non seulement, motif évident, parce qu'elles
sont plus souples, mieux dosables, et qu'il serait absurde d'appliquer à tous les
stades de l'enfance une contrainte ou une liberté uniformes. Mais encore, argument plus sinueux, parce qu'entre la normativité du mineur et celle du majeur,
elles sont un terrain de rencontre et de compréhension (la moralisation précède la
juridicisation). Observons les faits : la dépendance ou l'indépendance de l'individu, telle qu'elle peut résulter de l'exercice de l'autorité parentale, se situe presque
exclusivement dans la fluidité obscure du familier et du quotidien, du temporaire
et du vite-oublié. Les comportements qui sont en cause, il se peut qu'un mineur
les éprouve comme sérieux et même graves ; mais, au regard du majeur, ils apparaissent si futiles, si fugitifs, que son système propre de normes, le système juridique ne parvient pas à les saisir. Entre la manière dont l'autorité parentale est
vécue en fait par l'enfant ou l'adolescent et celle dont elle est instituée en droit par
l'adulte, les mœurs forment la médiation nécessaire ; elles représentent le langage
commun aux parents et aux enfants 7.
***
Il est temps de lever le rideau : ce prologue finirait par donner l'impression
que l'autorité parentale se passe de droit. Non seulement elle ne se passe pas de
droit, mais son droit ne se passe pas de commentaire. Ce qui est exact, c'est que ce
droit, sous un abord de simplicité et même de pauvreté, a de multiples replis : il est
très multidisciplinaire, de sorte qu'il requiert des commentateurs polycharismatiques, si l'on ose dire. Il leur faut la science du droit pénal non moins que du civil,
l'expérience du judiciaire aussi bien que du juridique, et par-dessus tout, comme
l'âme animant le corps, une attention, une sympathie portée aux problèmes de la
jeunesse 8.

7. [L'autonomie du mineur telle que déduite de l'usage aurait été naturellement d'un autre esprit
que l'autonomie que lui a octroyée la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant - convention dont la loi du 8 janvier 1993 a repris un fragment à son compte, en l'édulcorant, dans les
articles 388-1 et 388-2 du Code civil].
8. Toutes grâces réunies dans le commentaire que ces pages préfaçaient : Raymond Legeais,
L'autorité parentale, étude de la loi du 4 juin 1970 et des textes qui l'ont complétée, Paris, 1973. L'auteur
n'est pas seulement excellent analyste des textes, il est psychologue. Nous ne serions pas étonné que le
législateur, plus d'une fois, se fût senti percé à jour.

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