Anthologie du droit - Essais sur les lois - 63

Chapitre 7

L'ÂGE DE LA MAJORITÉ

Si d'aucuns s'étaient imaginé que, pour abaisser l'âge de la majorité, le législateur n'avait qu'à dire : « de 21 j'ôte 3 et je ne retiens rien » - le livre que voici 1 les
tirerait de cette illusion arithmétique. L'Auteur, expert en législation s'il en est, a
embrassé d'un coup d'œil pénétrant l'ensemble du droit positif pour y repérer les
multiples effets, prévus ou imprévus, qui ont fait ou feront suite au changement
du chiffrage légal. Sous sa conduite, le lecteur va constater combien, en définitive,
était délicate cette opération que les politiques avaient abordée avec beaucoup de
simplicité.
Qu'elle fût délicate n'était pas un motif pour l'ajourner plus avant. Les vingt
et un ans avaient pour eux l'habitude prise depuis 1792, mais nous n'en sentions
plus le mystère pythagoricien - par la faute de nos lois, qui, civiles ou pénales,
n'avaient pas su accrocher à l'exact triplement du nombre sacré (7, 14 et 21) la
présomption de sagesse croissante (le crescendo de socialisation, enseignerait-on
aujourd'hui) dont l'invention a été attribuée au philosophe des triangles. Réduire
plus ou moins la barrière était devenu une nécessité du moment. Mais plus ou
moins : tout ce qui est quantifiable est négociable. Il est probable qu'engagée plus
tôt, à froid, la réforme aurait pu être plus modérée. Vers 1964 2, avec une année de
moins, on aurait pu satisfaire non seulement les adolescents eux-mêmes, qui, pour
lors, ne manifestaient guère de précipitation 3, mais aussi les adultes plus turbulents qui commençaient à les flatter. Joint à cela que la numération par vingt
1. J. Massip, L'abaissement de l'âge de la majorité et ses conséquences, étude de la loi du 5 juillet 1974 et des textes qui l'ont complétée, Paris, 1975.
2. De cette époque, nous retrouvons une feuille, que le vent emporta : « Art. 388 - Le mineur est
l'individu de l'un ou de l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de vingt ans accomplis. - À seize ans,
l'individu est libre de décider de sa religion ». Mais ce second alinéa, c'était une autre histoire, et le
tout faisait un peu trop helvète.
3. Une mini-enquête menée sur des classes terminales de lycées parisiens avait révélé une vaste
indifférence à la question - avec par endroits, même chez les garçons, cette réflexion, qui n'eût pas été
législativement déraisonnable, que, s'il y avait abaissement, il devrait être plus prononcé pour les filles.
Il est vrai que l'inertie collective devant le problème législatif n'excluait pas que, dans le secret de leur
cœur, des individus pussent s'enflammer pour lui, parce qu'ils le coloraient de leurs problèmes personnels. L'attente frémissante de la majorité civile, comme d'une liberté fatidique, est un phénomène
psychologique qu'on a pu observer chez des jeunes gens très proches de la majorité - phénomène
exceptionnel, anormal, mais remarquable, car, en général, une condition juridique n'est pas génératrice d'obsession. Dans l'Astragale (1965, p. 157), Albertine Sarrazin, qui avait été sans doute une
mineure hors série, a analysé, en termes passionnés, son état d'âme à l'anniversaire de ses vingt ans :
« Mes vingt ans s'ébréchaient, glissant seconde à seconde vers la vingt et une, la désirée, la majeure,
l'année grave ».

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