Précis Domat - Droit des personnes - 2e - 82

DROIT DES PERSONNES
décision est contraire à des « principes essentiels du droit français » : « en l'état du
droit positif, il est contraire au principe de l'indisponibilité de l'état des personnes,
principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à
une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, qui, fût-elle licite à
l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9
du code civil » (affaire 09-66486). Toujours selon la Cour de cassation, « une telle
rectification, qui ne prive pas l'enfant de sa filiation paternelle, ni de la filiation
maternelle que le droit de l'État du Minnesota lui reconnaît, ni ne l'empêche de
vivre avec les époux X... en France, ne porte pas atteinte au droit au respect de la
vie privée et familiale de cet enfant au sens de l'article 8 de la Convention européenne
des droits de l'homme, non plus qu'à son intérêt supérieur garanti par l'article
3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant ». Des deux justifications
avancées, celle relative à la conception française de l'ordre public international
paraît plus forte que l'énoncé du « principe essentiel de l'indisponibilité de l'état des
personnes ». En effet, la gestation pour autrui fait l'objet d'une interdiction législative
explicite, qui repose sur deux fondements. D'une part, la prohibition véhicule
une vision, contestée mais défendable, de la maternité, qui ne dissocie pas radicalement
les liens biologiques (au sens de la gestation et non de la génétique)20
et les
attachements affectifs. D'autre part, même si cela relève d'un certain paternalisme
que l'on retrouve pour les autres éléments et produits du corps humain21
, le droit
peut décider de condamner la convention par laquelle une femme met, fût-ce volontairement,
à disposition tout ou partie de ses fonctions reproductrices, que la convention
soit à titre gratuit ou onéreux. En revanche, on voyait mal comment les juges de
la Cour de cassation pouvaient continuer à estimer que le refus de transcription ne
heurte pas la vie privée des enfants, même si l'on souscrit à leur constat selon lequel
les enfants ont bien une filiation paternelle retranscrite ainsi qu'une filiation maternelle
reconnue selon le droit de l'État où ils sont nés. Leur vie privée au sens de la
Convention européenne des droits de l'homme est entachée par la discordance entre
la filiation révélée par l'acte de l'état civil et le lien de parenté voulu et vécu. Ce
n'est du reste pas un hasard si les premières ouvertures du droit positif sur la gestation
pour autrui quand elle est légalement pratiquée à l'étranger se sont opérées dans
la direction de la régularisation des actes de l'état civil des enfants ainsi nés22
en ce sens que la Cour européenne des droits de l'homme a tranché le 26juin
201423
, condamnant partiellement la France sur le fondement de l'article 8 de la
Convention (vie privée et non-discrimination), non parce qu'elle interdit la gestation
■ 20. On mettra à part l'institution ancienne qu'est l'adoption dont il faut rappeler la finalité première
(successorale) et qui, elle, assume totalement un détachement du corporel et du biologique, au contraire
de la gestation pour autrui.
■ 21. Voir infra, nº 299 et s.
■ 22. Voir CE, ord., 4 mai 2011, nº 348778 ; AJfam. 2011, p. 328, obs. F. MILOUDI ; AJDA 2011, p. 928 ;
ibid. 1995, obs. P. BONFILS et A. GOUTTENOIRE ; AJCT 2011, p. 414, obs. C. SIFFREIN-BLANC ; RTD civ. 2011.
530, obs. J. HAUSER. Voir également Circ. nº NOR JUSC1301528C, 25janvier 2013 ; J-R. BINET, « Circulaire
Taubira. Ne pas se plaindre des conséquences dont on chérit les causes », JCP nº 7 11 février 2013.
161I ; N. MATHEY, « Entre illusions et contradictions », JCP nº 7, 11 février 2013, p. 162. Sur la validation
de la circulaire dite Taubira, voir CE, 12 décembre 2014, nº 365779.
■ 23. Cour européenne des droits de l'homme, Mennesson contre France, 26juin 2014, requête
nº 65192/11.
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