Bibliothèque de droit de l'environnement et de l'urbanisme - L'office du juge des référés en droit de l'urbanisme - 194

178

L'OFFICE DU JUGE DES RÉFÉRÉS EN DROIT DE L'URBANISME

B. LE JUGE DU RÉFÉRÉ-SUSPENSION OU LE PASSAGE
D'UN JUGE DE L'ÉVIDENCE À CELUI DE LA VRAISEMBLANCE
433. Si la réforme des procédures d'urgence issue de la loi du 30 juin 2000
visait à inciter le juge des référés à laisser de côté les pratiques restrictives du juge
du sursis à exécution, aucun élément dans le texte ne permettait d'apporter une
définition de la notion de doute sérieux. Cela donne un large pouvoir d'appréciation au juge des référés, ce qui laisse une place à la subjectivité. La nouvelle condition ne constitue alors qu'une simple indication à la destination des juges. Cette
conception a d'ailleurs été soulignée par le rapporteur de la commission des lois
du Sénat selon lequel « l'avenir du référé-suspension dépendra de la façon dont le
Conseil d'État distinguera le moyen sérieux du moyen propre à créer un doute
sérieux quant à la légalité de la décision »11. C'est donc, une fois de plus, de l'esprit
du juge de l'urgence que dépendait le succès de cette réforme. On peut dire que
l'objectif d'efficacité a été atteint puisque le juge des référés est devenu un juge de
la vraisemblance et a cessé d'être un juge de l'évidence.
434.  Pourtant le juge du référé-suspension est régulièrement assimilé à un
juge de l'évidence, à l'instar du juge des référés civil12. Comme le relève d'aussi
éminents auteurs que le professeur Frank Moderne « urgence oblige, le juge des
référés se trouve être le juge de l'évidence, celle qui correspond à une première
analyse nécessairement superficielle »13. La préoccupation constante d'assurer un
jugement rapide des référés aurait nécessairement des conséquences sur le travail
du juge, celui-ci étant cantonné dans un rôle de juge de l'évidence14 Le qualifier
ainsi sous-entend qu'il est nécessaire, pour qu'il prenne une mesure conservatoire,
que l'affaire ne soulève aucune difficulté, comme cela est le cas en procédure
civile15 : l'illégalité de la décision attaquée doit être évidente ou manifeste.
435.  En effet, les conditions posées par les articles  872 et  873 du Code de
procédure civile que sont l'absence de contestation sérieuse, l'imminence du dommage et le caractère manifestement illicite du trouble16 « sont autant de
11. GARREC (R), Rapport au nom de la commission des lois, Sénat, rapport no 380, 26 mai 1999, p. 47.
12. J. Vuitton et X. Vuitton, Les référés, Litec, coll. Pratique professionnelle, Paris, 2006, p. 11.
13. F. Moderne, Premier bilan de la réforme des procédures d'urgence dans le contentieux administratif, Rapport de synthèse. Vers la banalisation des procédures d'urgence, RFDA 2007 p. 91.
14. E. Glaser, Principe d'impartialité et rôle préliminaire du juge : le juge des référés, Conclusions sur Conseil d'État, Section (avis), 12 mai 2004, Commune de Rogerville, RFDA 2004 p. 723.
15. En effet, l'article 808 du Code de procédure civil dispose : « Dans tous les cas d'urgence, le
président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent
à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ». Il ressort de la jurisprudence
judiciaire que l'absence de contestation sérieuse implique l'évidence de la solution qu'appelle le point
contesté (C. cass., 1er civ., 28 juin 1965, bull. civ. I, no 429). Il en résulte que le juge des référés ne peut
ordonner les mesures prévues à l'article 808 que dans la mesure où il n'est pas amené à prendre parti
sur l'existence du droit invoqué que les juges appelés à connaître au fond auraient à apprécier (C. cas.,
soc., 23 mars 1989, bull. civ. V, no 254).
16. Les articles 872 et 873 du Code de procédure civile disposent respectivement : «Dans tous
les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du
tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou
que justifie l'existence d'un différend » et « Le président peut, dans les mêmes limites, et même en
présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en
état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble
manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable,
il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit
d'une obligation de faire ».
Bibliothèque de droit de l'environnement et de l'urbanisme - L'office du juge des référés en droit de l'urbanisme

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit de l'environnement et de l'urbanisme - L'office du juge des référés en droit de l'urbanisme
