Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 112

94

MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

en œuvre du droit, seul objet de l'activité propre du juriste positif. Et, c'est ce que
notre science traditionnelle a trop souvent oublié25.
Pour éclairer ces observations critiques, et leur donner an appui positif, sans
dépasser la visée toute générale du présent travail, il me suffira de signaler l'application, qu'on en pourrait faire, à quelques-unes de nos théories fondamentales :
les personnes, envisagées comme sujets exclusifs des droits, - la distinction des
droits réels et des droits de créance, - la notion juridique du patrimoine26.
65. Tous les droits privés, si varié qu'en soit le contenu, se ramènent à des
avantages, qui, définitivement, profitent aux personnes, je veux dire aux êtres
humains, envisagés dans leur fonction sociale. C'est là une idée, que la plus simple
analyse fait découvrir, que le droit romain s'était borné à constater en passant27,
qui s'impose indépendamment de toute abstraction, sans laquelle l'ordre juridique tout entier devient incompréhensible28.
Partant de là, on a pu dire que tout droit implique un sujet (j'entends un sujet
actif), qui ne peut être qu'une personne. Et, cette conception a permis d'édifier, sur
la substance et le rôle du sujet juridique, toute une théorie, qui non seulement
éclaire les dispositions de la loi, mais encore permet d'en combler utilement les
lacunes29. - Tant que cette théorie, fidèle à son origine, conserve le caractère d'une
construction subjective, sujette à révision, et toujours dominée, dans son application aux faits, par les éléments naturels, qui l'ont suggérée, je n'ai rien à y reprendre.
Mais notre dogmatique la présente sous un aspect bien différent. Elle tient
pour objectivement nécessaire ce principe a priori, que tout droit implique, à
titre de support, sans lequel il ne saurait subsister, une personne actuellement
existante. Et, de là, mue par une logique impérieuse, elle conclut, entre autres
25. [P. Vander Eyken, Méthode positive de l'interprétation juridique, Bruxelles et Paris, 1907,
Titre III, chapitre II, section 2 (Examen critique des arguments logiques), nos 147-191, p. 266-322, a
montré que les prétendus arguments logiques reposaient sur une simplification, quelque peu arbitraire, du but social, auquel il en faut revenir, si l'on veut raisonner juste].
26. Pour ne pas m'écarter du terrain d'investigations, que je me suis fixé (voy. ci-dessus, n° 6), je
m'en tiens très strictement, dans le choix de mes exemples, à quelques théories de droit privé. - Cela
ne veut pas dire, d'ailleurs, que les tendances, critiquées ici, soient restées étrangères aux doctrinaires du
droit public. Sous ce rapport, je me borne à signaler, en passant, la singulière adaptation, de la conception juridique du quasi-contrat, aux arrangements sociaux et à l'organisation politique, proposée par
M. Léon Bourgeois, Solidarité, 1896. p. 131-156. (L'idée paraît déjà indiquée par Austin : La Philosophie du Droit positif, trad. G. Henry, 1894, p. 48 49. - Comp. la théorie de la société esquissée par
R. von Jhering, Der Zweck im Recht. t. I3, 1893, p. 87-92). - Ainsi qu'on pouvait le prévoir, les théoriciens du socialisme n'ont pas tardé à abuser de cette simple vue de l'esprit. C. Andler : Le quasicontrat social de M. Léon Bourgeois, dans Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1897,
p. 520-530. - Mais voy. une critique pleine de bon sens de cette construction sociale par A. Darlu,
dans Revue de Métaphysique et de Morale, janvier 1898, p. 113-122. [- Voy. aussi, sur l'application du
système des formules et catégories doctrinales à un problème du droit international public : L. Michoud
et A. de Lapradelle, La question finlandaise, Paris, Chevalier-Marescq et Cie, 1901, passim].
27. « Cum igitur hominum causa omne jus constitatum sit .. » Hermogénien, fr. 2. D. De Statu
hominum, I, 5 ; - « ... nam parum est jus nosse, si personæ, quarum causa statatum est, ignorentur ».
§ 12, Inst., De jure naturali, I, 2 (éd. P. Krueger).
28. Voy. R. von Jhering, Geist des römischen Rechts, § 60 (4e éd. 1888). Dritter Theil. Erste
Abtheilung, p. 340 ; 3e éd. franç. de Meulenaere, § 70, t. IV. p. 328, in fine : « Tout droit privé existe
pour assurer à l'homme un avantage quelconque, pour venir en aide à ses besoins, pour sauvegarder
ses intérêts, et concourir à l'accomplissement des buts de sa vie. Le destinataire de tout droit, c'est
l'homme ».
29. Voy. par exemple : H. Capitant, Introduction à l'étude du Droit civil. Notions générales, Paris,
A. Pedone, 1898, chapitre III, p. 51-165 ; [3e éd., 1912, troisième partie, p. 101-214].
Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1

Table des matières de la publication Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1
