Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 118

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MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

l'intermédiaire des personnes morales publiques54 ; l'interprétation restrictive
des dispositions légales qui empêchent les pactes sur succession future55 ; la
séparation absolue des effets de la transmission héréditaire, particulièrement au
point de vue passif, d'avec l'idée, quelque peu surannée, de la continuation de la
personne du défunt par ses héritiers. Toutes solutions, dont la construction
usuelle du patrimoine, du moment qu'on la tient pour objectivement nécessaire,
arrête indéfiniment le succès, et qui (chose étrange !) ne se peuvent réaliser, au
point de vue des idées dominantes, que par une nouvelle atteinte aux principes
de la part du législateur56.
68. Bref, ces quelques analyses de notions juridiques générales, et bien
d'autres, que j'y pourrais joindre encore57, nous révèlent, dans les procédés de la
technique traditionnelle de notre science, un même jeu de mise en œuvre, entaché
d'un vice capital. Non contente de décomposer les rapports de droit en leurs éléments simples, en vue d'en pénétrer la substance intime et profonde, elle isole ces
éléments de la réalité et les jette dans le moule de la construction juridique, pour
en tirer des entités, indépendantes des faits, et se mouvant dans l'abstraction
pure58. - Or, remarquons-le bien. La logique prétendue, qui féconde ces entités,
n'est autre chose que le développement autonome d'une conception a priori, qui
a servi à les former. Et, tandis que les constructions, ainsi constituées, devraient
rester toutes subjectives, ou nous les présente comme douées d'une réalité objective et nécessaire. Ce qui fausse absolument les résultats du procédé.
J'ose dire qu'il y a là un complet renversement de ce que le bons sens et la
plus élémentaire réflexion nous enseignent.
En réalité, comme l'a invinciblement montré R. von Jhering59, les règles juridiques et les solutions, qu'elles consacrent, sont essentiellement déterminées par
le but pratique et la fin sociale des institutions. Voilà leur source, et, si l'on veut,
voilà en même temps leur logique ; logique, vraiment sûre et féconde, parce qu'elle
est faite tout entière de motifs moraux, psychologiques, économiques, et qu'elle
tend à réaliser l'équité objective, par la combinaison de l'idée de justice avec celle
54. Cons. note précitée de R. Saleilles, § 3, dans Sir., 94, 2, 187 à 189.
55. Art. 791, 1130, 1600, C. civ. franç. - Pareille interprétation est, au contraire, impossible
pour les partisans des idées d'Aubry et Rau, qui déclarent ces dispositions logiquement fondées sur
l'inaliénabilité du patrimoine. Aubry et Rau, op. cit., § 577, texte et note 5, t. VI4, p. 242.
56. [Adde : H. Gazin, Essai critique sar la notion de patrimoine dans la doctrine classique, thèse
de doct. Droit. Dijon, 1910-1911. - H. Capitant, qui, dans la première édition de son Introduction à
l'étude du droit civil (Paris, A. Pedone, 1898) avait présenté (chap. IV, § 4, p. 183-204) une théorie du
patrimoine, largement inspirée de celle d'Aubry et Rau, a abandonné cette théorie depuis sa deuxième
édition, publiée en 1903 (voy. la préface de cette 2e édition, en tête de la troisième, parue en 1912, p. VI,
texte et notes 1-2. - Adde, dans la 3e édition, quatrième partie : chapitre unique, § 5, p. 237-240].
57. Par exemple, si j'abordais la théorie de la possession, il me serait, je crois, facile de montrer
que les attaques, multipliées et vigoureuses, auxquelles a été en butte, depuis quelques années surtout,
la doctrine classique, s'expliquent le mieux du monde, par son caractère tout conceptuel, et, pour ainsi
dire, irréel, prétendant pourtant à la vérité objective. Cons., à ce sujet : R. Saleilles, Étude sur les
éléments constitutifs de la possession, 1894. - Voy. d'autres exemples, empruntés aux théories du droit
commun allemand, dans E. I. Bekker, Ernst und Scherz über unsere Wissenschaft, 1892, p. 132-144.
58. R. von Jhering, Scherz und Ernst in der Jurisprudenz, 1885, passim.
59. Geist des römischen Rechts, 4e éd., Dritter Theil. Erste Abtheilung, 1888, § 59, notamment,
p. 325 ; 3e éd. française de Meulenaere, 1888, t. IV, § 69, notamment p. 315. - Der Zweck im Recht,
t. I, 3e éd., 1893, Vorrede, p. viii, et p. 433-512. - Der Besitzwille. Zugleich eine Kritik der herrschenden juristischen Methode, 1889, Vorrede, p. ix-x, et passim ; éd. française de Meulenaere, Du rôle de
la volonté dans la possession, préface, p. vii-viii, et passim.
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