Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 155

ABUS DES ABSTRACTIONS LOGIQUES DANS LA MÉTHODE JURIDIQUE TRADITIONNELLE

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aisément compte que pareille conception, qui a pu avoir quelque raison d'être et
valeur quand il s'est agi de réagir contre un arbitraire menaçant226, reste fort en
arrière du rôle, qui incombe actuellement au droit positif. Nous sommes loin
aujourd'hui de ne voir en celui-ci qu'une barrière indispensable aux empiètements
de la liberté. Dans l'ensemble social, dont nous faisons tous partie, chacun de
nous a sa mission propre, que lui assigne un idéal de collectivité impératif, et la
liberté n'est guère plus qu'un moyen, pour lui, de remplir au mieux cette mission
positivement déterminée par le droit227. Dès lors, faire de celui-ci une exception et
de la liberté un principe supérieur, ce n'est que se constituer un schéma purement
illusoire. - Et, d'ailleurs, il suffit de considérer quelques-unes des questions, couramment posées par la vie juridique pour s'apercevoir que le simple critérium de
la liberté, isolé de toute réglementation positive, est manifestement incapable d'en
fournir la solution228.
Mais, l'objection peut rebondir, se fortifier et se transformer par l'intervention d'une seconde idée, tirée de la nature même du droit positif. Étant donné que
celui-ci implique, en sa notion propre, une sanction antérieure, émanée de l'État229,
il semble qu'on ne puisse reconnaître, comme tel, que la règle, édictée formellement par l'État, la loi écrite. Toute autre prescription impérative, quel qu'en fût
l'auteur, manquerait du signe caractéristique (la sanction assurée, par l'État) et ne
saurait s'imposer aux citoyens. - Pour répondre à l'argument, ce ne serait pas
assez, sans doute, de faire observer, que la décision du juge, qui met à effet un
précepte juridique, émane aussi de l'autorité de l'État. Il serait trop aisé de répliquer, que cette décision ; statuant sur un cas particulier, ne peut elle-même passer
pour une règle, et qu'elle présuppose, au contraire, d'après notre séparation des
pouvoirs230, un précepte général, préalablement posé. - Mais, il s'agit précisément de savoir, si ce précepte général : ne peut émaner que d'une injonction formellement édictée par l'État, d'une loi. Et, pour le soutenir, en se basant sur la
nécessité de la sanction étatique, il faudrait, d'abord, admettre a priori que l'État
est antérieur au droit. Bien différente est la vérité. Le droit positif, règle nécessaire
à la conduite des hommes vivant en société, précédé évidemment, rationnellement
et chronologiquement même, l'organisation des sociétés humaines en forme
d'États, qui a quelque chose d'artificiel, et sort de la technique du droit plutôt que
de la nature des choses. Qu'il n'y ait règle de droit positif que moyennant la perspective d'une coercition, émanée même, si l'on veut, de l'État, cela n'implique pas
que la règle en question doive elle-même avoir été posée préalablement par
l'État. Et rien n'empêche, qu'à défaut d'une loi qui l'ait édictée, on la reconnaisse
consacrée par d'autres puissances, sans rapport nécessaire avec l'État, ou même
incluse, de façon latente, dans un ensemble de faits (nature des choses), d'où le
juge la dégagera directement, le moment venu231.]
226. Voy. ci-dessus, p. 200, note 5 et p. 201, note 1 (n° 81, bis).
227. Rappr. Les conclusions des principaux travaux de L. Duguit - Voy. notamment, à cet
égard, Fr. Geny, Science et technique en droit privé positif, t. II, Paris, Sirey, 1915, p. 251, texte et note
4 (n° 130). Comp. nos 126-137, p. 227-239 et p. 204 (n° 120).
228. Voy. ci-dessus, p. 196-197 (n° 81 bis).
229. Comp. Fr. Geny, Science et technique en droit privé positif, Paris, Sirey, t. I, 1914, p. 47-48
(n° 16).
230. Voy. ci-après, p. 210-212 (n° 85).
231. Comp. Gn. Flavius, Der Kampf um die Rechtswissenschaft, Heidelberg, C. Winter,
1906, p. 10.
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