Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 161

PROLÉGOMÈNE

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qui sembleraient devoir être soumises à une règle abstraite, connue d'avance, et
assurée d'une application uniforme ? En d'autres termes, et pour employer le langage courant, bien qu'un peu excessif, ne risquons-nous pas de consacrer l'arbitraire du juge, avec ses inconvénients et ses périls ? Voila une première objection,
et l plus saillante. - D'autre part, ce grief se précise, prend un aspect plus juridique et se transforme en une seconde objection distincte, quand on observe que
notre droit public, pour obvier au péril signalé, a établi une sévère démarcation
entre le rôle du juge et celui du législateur. N'est-ce pas faire échec à ce principe
supérieur de la séparation des pouvoirs, que de permettre aux tribunaux, en leur
qualité d'interprètes officiels du droit, et sous la sanction coercitive qui s'attache
à, leurs décisions, de créer, au besoin, et en l'absence de loi précise, la règle juridique nécessaire à la solution des litiges qui leur sont soumis ?
85. Arrêtons-nous, d'abord à la seconde de ces objections, issus du principe
de la séparation des fonctions législative et judiciaire (Loi des 16-24 août 1790,
tit. II, art. 10 et 12. - Const. des 3-14 sept. 1791, tit. II, chap. V, art. 3. - Const. 5
Fructidor an III, art. 203. - Cod. civ. franç., art. 5. - Code pénal franç.,
art. 127-1°). Il n'est guère besoin, je suppose, d'en développer les termes. Son
énoncé en exprime, à lui seul, toute la force4. Et, l'on sent assez quels empiètements du judiciaire sur le législatif paraît permettre, et presque encourager, un
système d'interprétation, qui accepte comme principe initial une large autonomie,
concédée aux juges dans l'exercice de leur mission de mise en œuvre du droit positif. Sous prétexte d'appliquer ce droit, ne les autorisons-nous pas à constituer,
proprio motu, des règles juridiques ? Et, n'est-ce pas là confondre deux fonctions,
que notre droit public tient soigneusement séparées ?
Pour échapper à l'objection, on pourrait être tenté, d'abord, de contester la
portée même du principe, qu'elle prétend défendre contre toute atteinte5. Et, sans
doute, il ne serait pas impossible de montrer, que cette division des fonctions,
législative et judiciaire, si elle est parfaitement justifiée, en tant qu'expédient
constitutionnel, destiné à limiter, les unes par les autres, les autorités distinctes,
dont elle assure l'équilibre6, ne peut être érigée en dogme absolu, que l'on doive,
aveuglément et à tout prix, pousser jusqu'au bout de ses conséquences, sans se
demander si la séparation, ainsi maintenue, ne laisse pas une lacune impardonnable dans l'ensemble du système juridique7.
4. Voy., d'ailleurs, F. Larnaude, dans Revue critique de législation et de jurisprudence, 1890,
nouv. série, t. XIX, p. 374 : « .... Le rôle de l'interprète et du juge aujourd'hui est la conséquence nécessaire de notre mécanisme constitutionnel, et la séparation absolue du judiciaire et du législatif ne
permet pas facilement d'en concevoir un autre ». - [Mais comp. F. Larnaude (Le Code civil et la
nécessité de sa révision), dans Le Code civil (1804-1904). Livre du centenaire, Paris, A. Rousseau, 1904,
t. II, p. 921 : « Le principe de la séparation des pouvoirs, qui est avant tout une règle de politique,
n'empêchera jamais le juge de participer dans une certaine mesure à la législation. Ce serait un progrès
à rebours que de prétendre l'en empêcher rigoureusement. Cette participation, bien modeste d'ailleurs, ne compromet en rien la conduite des affaires publiques proprement dites, elle laisse intacte la
prérogative du législateur, et elle sert les intérêts, les affaires, les besoins pratiques qui ont bien leur
importance. Peu importe que la logique abstraite constitutionnelle n'y trouve pas son compte ! »]
5. [Encore, pourrait-on contester, que ce principe de pur droit positif (la Séparation des pouvoirs) intervînt légitimement dans un débat, qui domine toute la théorie rationnelle de l'interprétation.
Voy., à cet égard, ci-après, nos 88-90, p. 222-236].
6. Voy. Montesquieu, Esprit des lois, liv. xi, cap. 4 et 6. - Adde : A. Saint Girons, Essai sur la
séparation des pouvoirs, 1881. - Manuel de droit constitutionnel, 1880, chap. v, p. 80-81.
7. Comp. A. Majoràna, dans Archivio giuridico, 1889, t. XLIII, p. 577-578 [et la seconde citation de F. Larnaude, rapportée ci-dessus, p. 209, note 1]. - On sait quelle doctrine, politique et
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