Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 216

198

MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

Du même point de vue, se doit apprécier, tant qu'on en reste à la simple interprétation de la loi, l'autorité des principes ou même des conceptions juridiques, en
vue de développer le sens du texte. Dans cet appel à des notions supérieures, souvent nécessaires pour donner à une disposition particulière l'effet, qui ne peut
ressortir que de son rattachement à un ensemble général, l'interprétation trouve
assurément un précieux secours, pourvu que l'interprète ne s'avise pas de rechercher, en plein idéal, les principes les plus vrais en soi, les conceptions les mieux
adaptées au but. Car, du moment qu'il ne s'agit, par ce moyen, que de pénétrer la
volonté du législateur, principes et conceptions doivent valoir, non par leur mérite
objectif, et, pour ainsi dire, intrinsèque, mais seulement, par l'empire de leur prestige sur la pensée subjective, qui a élaboré la loi. - Ainsi, je n'hésite pas,
aujourd'hui, à penser que la majorité de la doctrine a fait fausse route, quand,
pour donner un sens, rationnel et précis, à la disposition de l'article 1734
C. civ. franç., tel que l'a modifié la loi du 5 janvier 1883, elle a cherché à établir la
responsabilité des locataires, en cas d'incendie de la chose louée, sur le fondement
d'une obligation contractuelle, essentiellement personnelle à chacun, et disparaissant pour lui, en cas d'absence de faute démontrée, sans retomber sur les autres,
de façon à laisser les risques à la charge du propriétaire, sous prétexte que tel était
le résultat des vrais principes166. Sans se prononcer sur ceux-ci, et s'en tenant très
étroitement à l'interprétation du texte, la Cour de Cassation a justement répondu,
que le législateur de 1883, n'ayant pas manifesté l'intention d'abandonner l'idée
de responsabilité collective entre les locataires (l'art. 1733 ancien étant d'ailleurs
resté intact), celle-ci devait être maintenue, malgré la suppression de la solidarité,
et qu'elle imposait aux locataires, non exempts de responsabilité, plutôt que d'en
faire une cause de déficit pour le propriétaire, la surcharge provenant de l'exonération de quelques-uns167. - Dans un ordre d'idées différent, si l'on peut admettre,
comme je suis fort disposé à le penser, contrairement à une opinion très répandue,
que, suivant les principes les plus sûrs de la théorie de l'assurance, principes fondés à la fois sur l'idée de justice et sur le rôle économique de ce contrat, l'indemnité, due en vertu d'un contrat d'assurance, contre des risques de perte, ou de
responsabilité, doit profiter avant tout aux personnes, qui souffrent directement
de la perte ou du dommage causé, plutôt que d'être aveuglément réservée à celui
qui a stipulé l'assurance168, du moins, doit-on reconnaître, pour l'interprétation de
la loi du 19 février 1889, articles 2-3, que les auteurs de cette loi sont partis d'un
principe différent, auquel ils ont entendu apporter des dérogations limitées, de
telle sorte qu'on ne puisse, par la voie de l'interprétation de leur loi, étendre les
innovations de celle-ci169, sauf à rechercher, d'ailleurs, la loi refusant ici son
166. Je crois devoir ici, après réflexion plus attentive, abandonner totalement une opinion, à
laquelle je m'étais jadis associé, pour une grande part. Voy. F. Geny, De la responsabilité des locataires
envers le bailleur en cas d'incendie de la chose louée, thèse de doctorat, Droit, Nancy, 1884-1885,
p. 44-50. - Voy. surtout, parmi les nombreux auteurs, ayant développé ce système : Labbé, note dans
Sir., 85, 2, p. 4-6. - M. Sauzet, dans Revue critique de législation et de jurisprudence, 1885, nouv. série,
t. XIV, p. 160-202.
167. Req. rej., 5 avril 1887, Sir. 87, 1, 125. - Civ. rej. et Civ. cass., 4 juin 1889, Sir. 89, 1,
477. - Civ. cass., 9 mai 1892, Sir., 92, 1, 240.
168. Comp., particulièrement, en faveur de cette idée : A. Darras et E. Tarboureich, De l'attribution en cas de sinistre des indemnités d'assurances, nos 20-22 et nos 93-100, dans Annales de droit
commercial, 1889, t. III, 2, p. 246-249 et 1890, t. IV, 2, p. 73-75. - Contra : E. Boutaud, Des clauses
de non-responsabilité et de l'assurance de la responsabilité des fautes, 1896, nos 214-215, p. 391-397.
169. En sens contraire, sur ce point : Darras et Tàrbouriech, op. cit., nos 24, 52, 54-57, 104,
Annales de dr. comm., 1889, 2, p. 249, et 1890, 2, p. 52-55, p. 77. - Cpr. encore les nos 40-41 et 108.
Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1

Table des matières de la publication Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1
