Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 85

EXAGÉRATION DE L'ÉLÉMENT LÉGAL DANS LA MÉTHODE JURIDIQUE TRADITIONNELLE

67

par le législateur lui-même. Soigneusement respecté encore par la loi du 30 juillet 182865, il n'a pas laissé que de subir une atteinte considérable par le fait de
celle du 1er avril 1837. - En décidant, dans son article 2, qu'après une seconde
cassation, fondée sur les mêmes motifs que la première, la troisième juridiction
saisie doit se conformer à la décision de la Cour suprême, sur le point de droit
jugé par elle, cette dernière loi, quoi qu'on en ait pu dire66, sacrifie bien, pour
cette hypothèse extrême, la règle si impérativement posée par la Constituante67.
Elle transforme le contrôle, purement négatif jusqu'alors, de la Cour de cassation, en une influence, positive et immédiate, sur la direction de l'interprétation
juridique, et elle semble ratifier, en les complétant, tous les progrès déjà réalisés
par sa pratique.
Je suis bien loin de penser que cet abandon des idées, primitivement conçues,
relativement au rôle du tribunal suprême, ne fût pas pleinement justifié. Bien plus,
sans me prononcer encore sur les justes limites de son intervention régulatrice
(voy. ci-dessous, 3e partie, chap. III), je n'hésite pas à reconnaître que l'extension,
précédemment donnée à son action du fait de la seule jurisprudence, était inspirée
par un profond sentiment des nécessités pratiques, non moins que par le besoin
absolu, en présence de l'insuffisance avérée de l'interprétation législative, de trouver, dans la juridiction supérieure, une direction, aussi complète que possible,
pour tout l'ensemble du domaine juridique privé68. - Et, il me sera bien permis
de remarquer, en passant, que tous ces développements, en opposition de règles
légales, mal venues ou reconnues impraticables, fournissent, en la dépassant
même, à l'appui de ma thèse principale, un excellent exemple de la méthode
65. Voy. : Exposé des motifs par M. le comte Portalis, garde des sceaux, à la Chambre des députés, le 25 mars 1828, Archiv. parlement., 2e série, t. LIII, p. 155, col. 1. - Rapport de M. Calemard de
Lafayette, à la Chambre des députés, le 10 mai 1828, Archiv. parlement., t. LIII, p. 745, col. 2. - Rapport à la Chambre des pairs de M. le Comte Molé, le 19 juillet 1828, Arch. parlem., t. LVI, p. 356, col.
2. - Cpr., en sens contraire : Discours de M. le marquis de Malleville, à la Chambre des pairs, le
23 juillet 1828, et amendement déposé par lui (sans succès, d'ailleurs), le 24 juillet 1828, Arch. parlem.,
t. LVI, p. 356, col. 2 et p. 390, col. 2.
66. Voy. les explications données en ce sens par M. le comte Roy, dans son Rapport à la Chambre
des pairs, le 18 février 1837, Moniteur du 19, p. 331, col. 2, et par M. le Garde des sceaux Persil, à la
même Chambre, le 21 février 1837, Moniteur du 22, p. 352, col. 2. Ces explications reposent sur un pur
sophisme. Il eût bien mieux valu avouer franchement que l'on rompait, sur ce point, avec le principe
de la Constituante.
67. C'est ce qui fut mis en pleine lumière, dans la discussion qui eut lieu le 30 mars 1837, à la
Chambre des députés, par MM. Gaillard de Kerbertn et Delespaul, puis, de la façon la plus décisive, par M. Pataille, rappelant très nettement les idées essentielles, qui avaient dirigé l'Assemblée
constituante, et réfutant les paradoxes proposés par les orateurs, que je citais à la note précédente,
Moniteur du 31 mars 1837, p. 739-743.
68. Certaines législations sont allées plus directement au but, en confiant à ta Cour suprême un
pouvoir d'interprétation générale (in abstracto), qui fait d'elle un véritable organe législatif au petit
pied. Telle était, pour l'Autriche, la loi (Patent) du 7 août 1850, aujourd'hui abrogée et remplacée par
les dispositions fort atténuées de l'ordonnance du 7 août 1872, sur lesquelles voy. Pfaff et Hofmann,
Commentar zum österreichischen allgemrinen bürgerlichen Gesetzbuche, t. I, 1877, p. 213-214. - Adde,
sur la loi (Patent) du 7 août 1850 : J. Unger, System des österreichischen allgemeinen Privatrechts, § 6,
in fine, texte et note 13, t. I, 4e édition, 1876, p. 44-45, et, sur les dispositions analogues d'autres législations germaniques : O. Stobbe, Handbuch des deutschen Privatrechts, § 4, texte et notes 6-17, 2e édition, t. I, 1882. p. 165-168. - Cpr. encore, pour l'Allemagne et la Prusse : Ed. Heilfron, Lehrbuch des
bürgerlichen Rechts, t. I, 1897, § 4, note 7, p. 24 - Förster-Eccius, Theorie und Praxis des heutigen
gemeinen preuszischen Privatrechts, § 17, 5e édit., t. I, 1887, p. 81. - Proposée plusieurs fois en France,
l'idée d'attribuer à la Cour de cassation une participation directe à l'interprétation législative a toujours échoué, et, avec raison, ce semble, contre le principe de la séparation des pouvoirs.
Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1

Table des matières de la publication Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1
