Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 91

EXAGÉRATION DE L'ÉLÉMENT LÉGAL DANS LA MÉTHODE JURIDIQUE TRADITIONNELLE

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considéré la législation française moderne comme étant l'une de celles, qui, sous
le contrôle de la Cour de cassation, laisse la plus grande latitude à l'appréciation
juridique de l'interprète84.
On m'accordera facilement, sans doute, que toute l'évolution législative, postérieure aux Codes (notamment la suppression complète de l'autorité législative du
Conseil d'État), n'ait fait qu'affermir et mieux justifier cette idée. Il est vrai que la
question même de la codification et du rôle respectif, qu'elle attribue tant au législateur qu'à l'interprète, n'a plus été reprise, que d'une façon très incidente, dans les
débats ayant précédé les lois du 30 juillet 1828 et du 1er avril 1837, auxquelles j'ai
fait suffisamment allusion (ci-dessus nos 44 et 45), et qui ont fortement contribué à
restituer tout son prestige à l'interprétation judiciaire. Mais, en outre, il est facile
d'observer que, de plus en plus, en matière civile surtout85, le législateur français
s'attache à ne trancher que des problèmes très limités, qui lui sont proposés par
leurs côtés les plus concrets, d'après les suggestions de la vie des affaires, et qu'il se
garde, avec excès parfois, d'envisager des théories générales, de poser des principes
abstraits, préférant s'en remettre, pour les développements de ses solutions et le
complément qu'elles requièrent, à la science et à l'équité des interprètes86.
84. Voy. notamment : Savigny, Traité de droit romain, § li, initio, trad. Guenoux, t. I, 1840,
p. 319-320 et : Vom Beruf unsrer Zeit, 3e édit., 1840, p. 73-81. - E.-I Bekker, Ernst und Scherz über
unsere Wissenschaft, 1892, p. 8. - Sur l'évolution de la même idée dans différentes législations, voy.
quelques indications historiques chez J. Unger, System des österreichischen allgemeinen Privatrevhts,
§ 13, Anmerkung 2, 4e édit., t. I, p. 95-96 ; et O. Stobbe, Handbuch des deutschen Privatrechts, § 26,
texte et note 3, 2e édit., 1882, t. I, p. 172-173. - Adde, en ce qui concerne le Code civil autrichien de
1811, son art. 7, sur lequel voy. Savigny, Vom Beruf unsrer Zeit, 3e éd., 1840, p. 107-108 et J. Unger,
op. cit., § 11, 4e édit., t. I, p. 67-73. - La question de l'influence de la codification sur la méthode
juridique n'a pas manqué d'être fort agitée, dans l'élaboration du nouveau Code civil allemand, et à la
suite de sa promulgation. Mais personne, en Allemagne, ne paraît avoir mis en doute que cette œuvre
législative laissât place, comme par le passé, à une élaboration juridique indépendante, de la part de la
doctrine et de la jurisprudence. Voy. notamment : Motive zu dem Entwurfe eines bürgerlichen Gesetzbuches für das deutsche Reich. Amtliche Ausgabe, 1888, t. I, p. 7-8 et p. 16-17. - Protokolle der Kommission für die zweite Lesung, von Achilles, I Lieferung, 1897, p. 2. - F. Zhodlowski, Codificationsfragen und Kritik des Entwurfs eines B. G. für das deutsche Reich, 1888, p. 43-44. - A. MenGER, Das
bürgerliche Recht und die besitzlosen Klassen, 2e éd., 1890. p. 23-24. - C. Gareis, Bürgerliches Gesetzbuch, 2e éd., 1896, Einleitung, p. xxiv. - R. Saleilles, Notice sur le Code civil pour l'Empire
d'Allemagne, in fine, dans : 26e Annuaire de législation étrangère, 1897, p. 158-160 ; [et Introduction à
l'étude du droit civil allemand, Paris, F. Pichon, 1904, p. 85-88 (§ IX) ; § X, p. 88-104].
85. On peut prendre, à titre d'exemples, la plupart de nos lois civiles ou commerciales des dix
dernières années [écrit en 1899], ainsi : la loi du 13 février 1889, portant modification de l'art. 9 de la
loi du 23 mars 1855 ; - loi du 19 février relative à la restriction du privilège du bailleur d'un fonds
rural et à l'attribution des indemnités dues par suite d'assurances ; - loi du 4 mars 1889, sur la liquidation judiciaire ; - loi du 24 juillet 1889, organisant la déchéance de la puissance paternelle ; - loi
du 27 décembre 1890, complétant l'art. 1780 C. civ. ; - loi du 9 mars 1891, modifiant le droit de
succession du conjoint survivant ; - loi du 11 juillet 1892, complétant l'art. 2280 C. civ. ; - loi du
6 février portant modification du régime de la séparation de corps ; - loi du 7 juin modifiant les
art. 110, 112 et 632 C. com. relativement à la lettre de change ; loi du 12 janvier 1896, relative à la
saisie-arrêt des salaires et petits traitements ; - loi du 25 mars 1896, sur les droits de succession des
enfants naturels ; lois du 17 août et du 7 décembre 1897 ; - loi du 1er mars 1898, sur le nantissement
des fonds de commerce ; - loi du 8 avril 1898, concernant le régime des eaux ; - loi du 9 avril 1898,
sur In responsabilité des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail, et loi complémentaire du 30 juin 1899, concernant les accidents causés dans les exploitations agricoles par l'emploi de
machines mues par des moteurs inanimés ; - etc., etc.
86. Voy. encore, sur la conception française de la codification et de la loi : Bertrand, Discours
de rentrée à la Cour de cassation, le 16 octobre 1888, § 1, dans Le Droit, du 17 octobre 1888, p. 981.
- Comp. K. Cosack, Lehrbuch des deutschen bürgerlichen Rechts, § 6, 2, c, t. I2, 1899, p. 19. -
[Adde : ci-après, nos 52-53, et les références].
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