Droit et économie - Droit et économie de la propriété intellectuelle - 56

La propriété intellectuelle, « outil économique »

Cette dimension multiple du bien immatériel semble aujourd'hui par trop
occultée par nombre de juristes spécialistes de propriété intellectuelle (même s'il
faut reconnaître un début de prise de conscience)26.
La première question posée aujourd'hui (au juriste comme à l'économiste), il
semble, est donc celle de la place et du rôle de la propriété intellectuelle dans
cette économie de l'immatériel.
Les organisateurs de ce cycle de conférences ont d'ores et déjà répondu à la
question, en présentant la propriété intellectuelle comme étant au cœur de cette
économie (ce qui vise à la fois sa place et son rôle).
En adoptant comme tel ce postulat, et en essayant de ne pas être descriptif,
mais critique, il convient d'envisager certaines conséquences de ce rôle central
pour le droit de la propriété intellectuelle.
Il ne s'agit donc pas ici de décrire à nouveau l'extension tous azimuts de la
propriété intellectuelle au niveau international, consommée avec l'Accord
ADPIC.
Il s'agit plutôt de s'interroger à partir de deux paradigmes, qui semblent
complémentaires dans cette économie de l'immatériel : la financiarisation de la
propriété intellectuelle et la dématérialisation des actifs des entreprises27.
Des travaux d'économistes ont porté sur cette financiarisation et sur l'incidence
de celle-ci sur les équilibres et finalités traditionnels de la propriété intellectuelle
28
(et notamment sur le fait que ce sont les financiers qui vont décider des découvertes qui feront l'objet d'une mise sur le marché, des projets qui feront l'objet
d'un financement, etc., ce qui peut avoir des répercussions sur le progrès de la
connaissance ; ou encore le fait que des choix financiers conduisent à une appropriation privative de connaissances ou informations au détriment de la
communauté, « Hold-up », « Tragédie des anti-communs » ; ou encore le
caractère dissuasif de certains coûts de défense de brevets qui éloignerait
finalement les entreprises du dépôt de brevet comme stratégie).
Cette financiarisation pose selon nous également la question de la place des
acteurs traditionnels de la propriété intellectuelle, de leur évolution. Ces acteurs
ne sont pas les mêmes selon les différentes branches de la propriété
intellectuelle 29.
26. V. notamment, M. Vivant, « Objet juridique, objet social. Réflexions sur la propriété intellectuelle »,
Propriétés intellectuelles, avril 2012, p. 269 et s.
27. On retrouve ces deux traits ou tendances par exemple en droit de l'environnement : la création d'un
marché des quotas d'émission de gaz à effet de serre est passée par la création de nouveaux bien incorporels
et la financiarisation de ceux-ci à travers un mécanisme de marché. Gageons qu'il en sera de même en matière
de compensation des dommages à la biodiversité avec l'institution des unités de biodiversité...
28. V. notamment, B. Coriat, F. Orsi, « Propriété intellectuelle, marchés financiers et promotion des
firmes innovantes. Un retour sur la "nouvelle économie" », in M.-A. Frison-Roche et A. Abello (dir.), Droit
et économie de la propriété intellectuelle, op. cit., p. 265 et s. ; F. Orsi, Droits de propriété intellectuelle et marchés
financiers dans les nouvelles relations Science/industrie, thèse, Marseille, 2001. Plus récemment, M. Cassier,
B. Coriat, « Propriété intellectuelles, Innovations et Marchés », art. préc., part. p. 209 et s.
29. V. notamment, sur les acteurs traditionnels et les nouveaux acteurs (sans évoquer les actionnaires
cependant), N. Binctin, « Les sept familles de la propriété intellectuelle », in Le droit de la propriété intellectuelle

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