Droit et économie - Droit et économie de la propriété intellectuelle - 88

La propriété intellectuelle, « outil social »

Dans la réforme qui vient d'être décrite, des brevets continuent d'être accordés,
tout en pouvant être partagés. Mais le rôle de la concurrence vis-à-vis de l'innovation doit aussi être considéré dans un cadre plus large. Comme James Bessen
et Eric Maskin l'ont montré, il y a des secteurs d'activités et des structures de
marché où concurrence et innovation s'articulent de manières appropriées sans
qu'il y faille des brevets : « Comment des industries comme celles du logiciel,
des semiconducteurs, des ordinateurs, ont-elles pu être si remarquablement
innovatrices avec une protection faible de la propriété intellectuelle ? Nous
montrons que si l'innovation présente à la fois des caractères de séquentialité et
de complémentarité - ce qui a certainement été le cas dans ces industries - la
concurrence augmente les perspectives de profit des entreprises au-delà des dissipations de rentes à court terme. Nous montrons en outre que la protection par
des brevets est susceptible de freiner la dynamique d'innovation et de réduire
l'efficacité économique »21.
Dans ce type d'environnement économique, il y a des « forces naturelles de
marché »22 qui suscitent l'innovation et protègent de l'imitation.

Section VIII
Une

aUtre logiqUe D'incitation et De protection, l'« open soUrce »

Le mouvement dit d'« open source » a radicalement transformé l'industrie du
logiciel au cours des deux dernières décennies. Le succès de l'open source, pour
reprendre le titre du livre de Steven Weber (2005), est large dans cette industrie ;
il s'esquisse dans d'autres.
Cependant, qui peut être motivé pour produire des logiciels sans être directement rémunéré pour le travail accompli ? Comment un système de production
sans structure hiérarchique de coordination peut-il fournir des produits dont la
qualité est notoire ? S'agit-il seulement de prouesses techniques réalisées par des
fanatiques de la programmation, comme on le prétend parfois ?
En fait, les comportements individuels et l'organisation collective relèvent des
rationalités beaucoup plus élaborées. En premier lieu, comme le montrent
plusieurs études empiriques23, les motivations des participants sont variées.
Certains, effectivement, sont motivés principalement par le plaisir d'écrire des
programmes avancés. D'autre réalisent des logiciels dont ils ont besoin et qu'ils
ne peuvent pas obtenir autrement. Il y a aussi l'identification, forte chez certains,
à une culture commune, faite en partie d'oppositions au modèle Microsoft. Et
21. Bessen and Maskin (2009). Voir aussi l'analyse de Boldrin and Levine (2004)
22. « natural market forces » est l'expression utilisée dans Gallini and Scotchmer (2002), p. 52. Voir
aussi Henry and Ponce (2009).
23. En particulier Haruvy, Wu and Chakravarty (2003) et Hertel, Kriskman and Slaughter (2003).
Voir aussi Aigrain (2005).

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