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LES « NOTIONS AUTONOMES » EN DROIT DE L'UNION

L'« européanisation » du droit est en effet souvent conçue en terme d'impact de la primauté imposée par le droit de l'Union dans les « rapports de
systèmes ». La vision kelsenienne des rapports entre ordres juridiques a imprimé sa marque sur des générations de juristes4, qu'il s'agisse, pour se limiter au
cadre européen, des juges chargés de dire le droit de l'Union européenne ou de
la Convention européenne des droits de l'homme, ou des juges des cours
suprêmes dans les systèmes juridiques des États membres, mais aussi et à l'évidence de la doctrine juridique, préoccupée davantage du point de savoir si la
pyramide repose sur sa base ou sur sa pointe que de s'interroger sur ce qui
survit de la pertinence de la métaphore de la pyramide5. L'influence du droit
de l'Union ou du droit de la CEDH est depuis longtemps vécue sur le ton du
conflit, de la confrontation ou de la hiérarchie ; les relations entre le droit
européen et les droits nationaux sont le plus souvent abordées en empruntant
une sémantique polémologique, qui disserte de la guerre des droits, celle qui
n'aura pas lieu, de la guerre des juges, qui, elle, a parfois eu lieu, ou, pour les
irréductibles diplomates judiciaires, du passage de la détente, à l'entente et à la
coopération, conformément au discours bien connu sur le « dialogue des
juges » et sur le « dialogue des droits ».
Certes, la problématique des « notions autonomes » du droit de l'Union n'est
pas dépourvue de liens avec la logique de la primauté, puisqu'elle aboutit à imposer aux autorités nationales - et le cas échéant aux juridictions nationales - une
interprétation déterminée, au niveau de l'Union, de notions qui peuvent avoir
une signification différente dans les cultures juridiques des États membres6.
v. par exemple R. Lecourt, Le juge devant le marché commun, IUHEI, 1970 ; L'Europe des
juges, Bruylant, 1974 ; D.  Simon, L'interprétation judiciaire des traités d'organisations
internationales, Pedone, 1981 ; J.  Boulouis, Vo « Interprétation », in Encyclopédie Dalloz
Communautaire, 1992.
4. V.  en ce sens B.  Bonnet, Repenser les rapports entre ordres juridiques, Lextenso
éditions, coll. « Forum », 2013.
5. Comme l'a très bien dit M.  Guyomar, « la pyramide kelsénienne ne suffit plus à
rendre compte des rapports entre les différents ordres juridiques : les droits nationaux, le droit
communautaire et celui de la convention européenne » (Concl., sp. p. 24-25, CE, 10 avril
2008, Conseil national des barreaux, no 296845). V. également M. Guyomar et D. Simon, « La
hiérarchie des normes en Europe », Gaz Pal, Gaz. Eur. no 40, 2009, p. 11 et s.
6. Si l'on avait une prétention à l'exhaustivité, il conviendrait d'examiner également
cette problématique dans les rapports du droit de l'Union avec le droit international. Les
emprunts aux notions classiques du droit international font l'objet, comme chacun sait, d'une
autonomisation lors de leur éventuelle reprise par des notions de droit de l'Union. Certes, ce
n'est pas toujours le cas, comme en témoigne la lecture assez internationaliste de la conception
de l'État à laquelle se livre la Cour de justice (v. par exemple. B. Nabli, L'exercice des fonctions
d'État membre de la Communauté européenne, Dalloz, 2007). En revanche, qu'il s'agisse du
droit des traités (TPICE, 22 janvier 1997, Opel Austria, aff. T-115/94 ; CJCE, 16 juin 1998,
Racke, aff. C-162/96) ou de l'opposabilité de la nationalité (CJCE, 7 juillet 1992, Micheletti,
aff.  C-369/90), le sens des termes de droit international donne lieu à une appropriation
autonome par le droit de l'Union. Mais une analyse plus approfondie nécessiterait une étude
particulière, qui dépasse le volume imparti à la présente contribution, ce qui justifie que cet
aspect ait été délibérément écarté.
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