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LE DIALOGUE DES JUGES DANS L'UNION EUROPÉENNE

avec une évidence telle qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la
manière de résoudre la question posée »66, mais en assortissant cette dernière
hypothèse de conditions tellement restrictives que sa mise en œuvre semble devoir
rester théorique67. Or, le fait est que le Conseil d'État avait abondamment utilisé
par le passé la théorie dite de l'acte clair - qui consiste à ne pas renvoyer à la Cour
de justice une disposition lorsque son interprétation semble évidente - pour se
soustraire à cette obligation de renvoi68. Dans ce contexte, faire du renvoi préjudiciel l'instrument du dialogue entre les juridictions paraît assez artificiel.
Par ailleurs, au-delà des caractéristiques propres au renvoi préjudiciel, certains
arrêts rendus par la Cour de justice - que ce soit sur la base de cette procédure ou
dans le cadre d'autres recours - ont pu conduire à une « crispation » des relations
avec les juridictions internes. Ainsi, l'arrêt Köbler imposant aux États membres « de
réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables [y compris] lorsque la violation en cause découle
d'une décision d'une juridiction statuant en dernier ressort »69 a pu être perçu par le
dédicataire de ces Mélanges comme instaurant « une forme de contrôle hiérarchique »70 de la Cour de justice sur les juridictions internes, et par l'ancien vice
président du Conseil d'État comme une tentative, de la part de la Cour de justice,
de « s'ériger en juridiction suprême des cours suprêmes nationales »71. Et que dire de
l'arrêt Commission contre Italie du 9 décembre 2003, dans lequel la Cour de justice
consacre l'hypothèse du « manquement judiciaire », autrement dit la possibilité de
condamner un État membre en raison d'une interprétation jurisprudentielle de la
législation nationale qui serait contraire au droit de l'Union72 ? Il est vrai que, par
son arrêt Gestas, évoqué précédemment, le Conseil d'État s'est plié à l'obligation
66. Ibid., pt 16.
67. En effet, pour conclure en ce sens la juridiction nationale doit « tenir compte que les
textes de droit communautaire sont rédigés en plusieurs langues et que les diverses versions
linguistiques font également foi ; une interprétation d'une disposition de droit communautaire
implique ainsi une comparaison des versions linguistiques ». En outre « chaque disposition de
droit communautaire doit être replacée dans son contexte et interprétée à la lumière de
l'ensemble des dispositions de ce droit, de ses finalités, et de l'état de son évolution à la date à
laquelle l'application de la disposition en cause doit être faite ». Ibid., pts 18 et 20.
68. V. notamment CE, 19 juin 1964, Société des pétroles Shell-Berre e.a., Lebon, p. 344,
qui constitue l'arrêt de référence en la matière.
69. CJCE, 30 septembre 2003, Gerhard Köbler c/ Republik Österreich, aff. C-224/01,
Rec. p. 10239 et s., pt 50.
70. H. Oberdorff, « Le juge administratif français dans un environnement européen »,
in B. Lukaszewicz et H. Oberdorff (dir.), Le juge administratif et l'Europe : le dialogue des
juges, op. cit., p. 52.
71. R. Denoix de Saint Marc, « Introduction », in B. Lukaszewicz et H. Oberdorff
(dir.), Le juge administratif et l'Europe : le dialogue des juges, op. cit., p. 14.
72. Même si en l'espèce la Cour condamne l'Italie pour n'avoir pas modifié sa législation.
En effet, comme le souligne Denys Simon, « une condamnation directe - y compris dans le
dispositif - de la jurisprudence de la Cour de cassation risquait [...] de poser de redoutables
problèmes au regard de l'autorité de chose définitivement jugée par la juridiction suprême » :
D. Simon, « La condamnation indirecte du "manquement judiciaire" - Le juge national doit
être asservi par le législateur au respect du droit communautaire », Europe, no 3, 2004, chr. 4.

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