Les Mélanges - Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Henri Oberdorff - 34

L'OFFICE DU JUGE, EN PARTICULIER CELUI DU JUGE DE LA CEDH

Certes, et pourtant je crois qu'il y a des traits communs à l'office de tous les
types de juges2. J'ai d'ailleurs la fierté, malgré les nombreuses autres fonctions que
j'ai exercées, de me considérer avant tout comme un juge.
Je ne m'attarderai pas sur toutes les définitions possibles de l'expression « office
du juge » ; il y faudrait plus de temps et d'espace que les limites de cet article. Je
livrerai sans ambages la mienne : elle englobe la fonction de juger (ou de rendre
la justice), et les pouvoirs et devoirs que cette fonction impose à son titulaire.

A. La fonction de juger
Pour éviter une tautologie ou un cercle vicieux, il faut dire ce que signifie
« juger ». Une définition simple, peut-être un peu large, est donnée par l'arrêt
Sramek de la CEDH3 : constitue un tribunal, au sens matériel, tout organe « à
qui il appartient de trancher, sur la base d'une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence ». Je suggère de rétrécir un peu cette définition,
en remplaçant les mots « toute question » par « tout litige ». En effet, s'il n'y a
pas de litige, il ne me semble pas qu'il y ait jugement. En outre, comme le verbe
« trancher » (« to determine » dans la version anglaise de l'arrêt Sramek) renvoie
bien à l'idée de fournir une solution juridictionnelle, de statuer4, il me semble
aussi que cela écarte les cas où le juge agit comme médiateur, conciliateur,
amiable compositeur, voire émet des avis consultatifs. Ces différentes fonctions
peuvent être rattachées à l'office du juge, mais cela me paraît accessoire (sans
tonalité péjorative) par rapport à la fonction principale, qui est de juger à proprement parler.
J'ajoute que le juge est le plus souvent un juge étatique. Il peut être un juge
international ou pluriétatique, comme on le verra pour la CEDH. Il peut aussi
être un arbitre, un juge arbitral5.
2. Les réflexions qui suivent me sont personnelles. J'ai toutefois puisé une partie de mon
inspiration, notamment pour la première partie, dans le très intéressant colloque tenu au Sénat
les 29 et 30 septembre 2006 à l'initiative des professeurs Gilles Darcy et Mathieu Doat et de
la doyenne Véronique Labrot (Actes publiés par les Éditions des colloques du Sénat en 2009),
et dans le stimulant livre récent d'Antoine Garapon, Sylvie Pedriolle et Boris Bernabé, « La
prudence et l'autorité. Juges et procureurs du xxie siècle », préface de Christiane Taubira,
Odile Jacob, 2014.
3. Sramek c/ Autriche, 22 octobre 1984, spécialement § 36. Les arrêts cités émanent tous
de la CEDH.
4. Dans sa contribution au colloque du Sénat, intitulée « Comment tranche-t-on au
Conseil d'État ? », mon ami Bruno Genevois, qui était président de la section du contentieux
du Conseil d'État, notait que « trancher » ne lui semblait pas un mot idéal ; il exprimait sa
préférence pour « décider ».
5. De manière générale, les tribunaux arbitraux ne sauraient, selon la CEDH, se soustraire
aux garanties offertes par la Convention EDH, et notamment par son article 6. Voir par
exemple l'arrêt Lithgow et autres c/ Royaume-Uni, 8 juillet 1986. Voir Frank Matscher (ancien
juge autrichien à la Cour), « L'arbitrage et la Convention EDH », in Louis-Edmond Pettiti,
Emmanuel Decaux, Pierre-Henri Imbert (dir.), La Convention européenne des droits de
l'homme, Commentaire article par article, Economica, 1995, voir article 6.

Les Mélanges - Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Henri Oberdorff

Table des matières de la publication Les Mélanges - Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Henri Oberdorff