Les Mélanges - Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Henri Oberdorff - 35

JEAN-PAUL COSTA

B. Les pouvoirs du juge
Ils sont de différents ordres.
1) En premier lieu, dès lors que la procédure est organisée, il appartient bien
entendu au juge de la conduire, qu'elle soit écrite ou orale ou les deux, et d'en
assurer l'observance par les parties, ainsi que, le cas échéant, par le public. Le
juge, ou le juge qui préside quand le tribunal est collégial, a en charge la bonne
administration de la justice, ainsi que la police de l'audience. Dans certains pays,
régis par la common law, un délit spécial, celui de « contempt of court » (outrage
au tribunal), incrimine les attitudes irrespectueuses ou offensantes vis-à-vis des
juges6. Conduire la procédure veut dire la mener du début à son terme, c'est-àdire jusqu'à la lecture de l'arrêt. Dans le cadre de la conduite de la procédure,
l'office du juge consiste à veiller à son bon déroulement, et si possible à sa célérité, c'est-à-dire à l'observation du délai raisonnable pour juger. Les délais pour
le dépôt des observations des parties, ceux assignés aux experts quand il y en a,
les convocations des parties, de leurs avocats et des témoins, tout cela ressortit à
l'office juridictionnel ; certes, le greffe est chargé de nombreuses formalités et
mesures d'administration judiciaire, mais toujours sous le contrôle ultime du
tribunal et de son président. L'oralité des débats, de plus en plus importante en
certaines matières7, donne d'une certaine manière une autorité accrue au juge :
l'« intimité » des débats, loin d'exciter la contestation, permet au juge de l'apaiser par le dialogue.
2) En second lieu, le juge doit évidemment rendre la justice, c'est-à-dire régler
le litige qui lui est soumis, dès lors qu'il estime qu'il est de sa compétence. Il lui
incombe de prendre après examen et au terme du procès une décision fondée en
droit (et non en équité, encore qu'il soit souhaitable que l'application de la règle
de droit ne soit pas inéquitable, toutes les fois au moins que c'est possible8). Il lui
faut donc établir les faits (au besoin en les qualifiant), grâce à l'application des
règles de preuve et le cas échéant de présomption qui sont pertinentes, puis en
appliquant à ces faits les règles de droit régissant la matière9. Le juge dans cette
partie de son office est aidé par les parties et les avocats, mais comme il est rare
qu'il y ait, même in fine, accord entre les prétentions en demande et en défense10,
il lui faut précisément trancher, c'est-à-dire choisir. « Juger, c'est choisir ».
6. Pour une affaire à la fois importante et pittoresque, voir l'arrêt Kyprianou c/ Chypre,
15 décembre 2005.
7. Par exemple dans les procédures d'urgence ; je pense au référé devant les juridictions
administratives qui s'est développé, de façon heureuse, depuis la loi du 30 juin 2000 - laquelle
doit beaucoup à mon ami Daniel Labetoulle, alors président de la section du contentieux.
8. « Summum jus, minima injuria », doit-on espérer, contrairement au proverbe latin
rappelé par Cicéron dans De Officiis.
9. J'admire la concision et la précision de l'article 12 du Code français de procédure
civile : « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables » ; il me
semble que cela vaut pour tout juge et pour tout litige.
10. Auquel cas les parties peuvent conclure un règlement amiable (ou une transaction), et
le procès peut se finir par une radiation du rôle qui en donne acte aux parties, si du moins la
solution de l'affaire n'apparaît pas au juge inégale ou léonine.

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